Le budget fédéral de 2019 et le travail entrepris par Imagine Canada au sujet d’un déficit socialémergent ont d’importants points en commun.
Dans les deux cas, on utilise les prévisions pour certaines variables économiques et sociales clés afin d’anticiper les choix à faire et les défis à relever par le gouvernement et les organismes caritatifs dans les années à venir. Dans quelle mesure le portrait présenté dans le budget correspond-il à notre analyse d’un déficit social émergent au Canada?
Par déficit social, on entend l’écart entre, d’un côté, la demande prévue pour les services fournis par les organismes de bienfaisance et sans but lucratif et de l’autre côté, les ressources financières dont disposent les organismes à condition que les tendances actuelles soient maintenues. Ainsi, Imagine Canada prévoit que cet écart atteindra 25 milliards de dollars d’ici 2026. Contrairement aux déficits dans les finances publiques ou personnelles, le déficit social n’apparaîtra pas dans un bilan, mais se fera ressentir sous forme de temps d’attente prolongé pour certains services, l’annulation ou la restriction d’accès à certains programmes et services par les organismes caritatifs et une augmentation de la charge de travail d’employés déjà au bout du souffle.
Hypothèses du budget de 2019
Malgré quelques mises en garde, l’analyse à la base du budget fédéral de 2019 dresse un portrait assez encourageant du rendement et des perspectives économiques du Canada.
- La croissance annuelle du PIB canadien de 1,9 % en 2018 demeure bonne par rapport aux autres pays du G7, se classant deuxième derrière l’économie américaine dont la croissance s’explique surtout par des baisses d’impôt. Cependant, elle se situe en deçà de la moyenne mondiale qui a dépassé les 3 %.
- La création d’emplois reste très solide et le taux de chômage, le plus bas depuis 40 ans. Depuis 2015, quelque 900 000 emplois ont été créés.
- L’inflation reste maîtrisée autour de 2 %.
- Malgré un budget axé sur les dépenses, on prévoit un ratio de la dette au PIB de 30 % ou moins, ce qui est excellent en comparaison aux standards internationaux.
- Le Canada demeure une économie fondée sur les ressources naturelles. La baisse du prix du pétrole a des répercussions sur les perspectives de croissance et la valeur du dollar canadien.
- L’immigration a un effet positif sur l’économie, puisqu’elle compense le ralentissement de la croissance de la population et contribue au taux de participation au marché du travail, qui n’a jamais été aussi élevé.
Lien avec le déficit social
L’analyse budgétaire correspond aux hypothèses qui alimentent le travail d’Imagine Canada dans le dossier du déficit social.
- Comparé à d’autres pays, le rendement économique du Canada est bon bien qu’inférieur au rendement enregistré pendant de nombreuses années. Depuis la fin des années 1980 jusqu’en 2012, l’économie a crû au rythme de 2,5 % par année. La comparaison entre la croissance actuelle de notre économie et la croissance actuelle d’autres pays ne peut toutefois pas occulter le fait que nous traversons une période de croissance plus lente. En fait, la croissance annuelle estimée à 1,8 % dans l’analyse du déficit social semble aujourd’hui assez optimiste.
- Comme expliqué dans l’analyse du déficit social, un ralentissement de la croissance du PIB se traduire par un ralentissement de la croissance du revenu disponible qui, lui, se soldera par un ralentissement de la croissance des dons caritatifs. Ainsi, dans son budget, le gouvernement indique que le PIB nominal sera de 12 milliards de dollars inférieur aux prévisions inscrites au budget de 2018. Puisque les dons des contribuables représentent environ 5 % du PIB, le manque à gagner pour les organismes de bienfaisance est donc de 60 millions de dollars. Cela est sans tenir compte du ralentissement déjà entamé du taux de croissance en 2018.
- Selon l’analyse du déficit social, le ralentissement de la croissance économique s’explique entre autres par le recul du taux de participation au marché du travail dû au vieillissement de la population. L’analyse budgétaire souligne que le sommet historique actuel du taux de participation est imputable en grande partie à l’immigration. Cependant, on ignore à présent si l’immigration continuera à compenser les effets du vieillissement de la population à long terme.
Conclusions
De façon générale, le budget de 2019 confirme la perspective adoptée dans notre analyse du déficit social. Fait intéressant, malgré les discussions actuelles sur les conséquences de l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique sur notre société, ni le budget ni l’analyse du déficit social n’envisagent une augmentation rapide, voire excessive, de la productivité grâce à la technologie, qui conduirait au déplacement des travailleurs et à d’énormes inégalités sur le plan de la distribution des revenus. Les deux analyses prévoient plutôt une croissance au ralenti, quoique positive, et des choix difficiles à faire autant pour les organismes caritatifs et que les gouvernements.
Si nous désirons maintenir et augmenter notre niveau de vie actuel, ainsi que la capacité des organismes de bienfaisance et sans but lucratif à fournir les services requis par les citoyens et les collectivités, nous devons réfléchir à de nouvelles approches politiques et économiques. Les gouvernements, surtout au niveau provincial, verront leur marge de manœuvre se rétrécir au cours des prochaines années, ce qui aura des conséquences sur les organismes caritatifs. Notre étude 30 ans de don au Canada aborde les défis persistants en lien avec les dons et la philanthropie. Les gouvernements, organismes de bienfaisance et sans but lucratif devront établir un nouveau type de relations, où les gouvernements s’efforceront à offrir aux organismes de meilleurs outils règlementaires pour leur permettre de trouver de nouvelles façons de générer des revenus et d’investir.