“Si quelqu’un frappait à votre porte et vous demandait 1 000 $, quelles questions lui poseriez-vous?” — et autres éléments à prendre en compte lors de la rédaction de demandes de subvention
La saison des demandes de subvention approche. Pour ceux qui rédigent ces demandes pour la première fois, la tâche peut sembler titanesque.
Nous avons donc demandé conseil à une experte qui a passé plus de vingt ans à diriger des projets communautaires et de développement de programmes dans le secteur à but non lucratif. Elle anime également des ateliers pratiques sur la rédaction des demandes de subvention.
Nous vous présentons Stachen Frederick, directrice générale de Frontlines, un organisme caritatif orienté vers les enfants et les jeunes des communautés marginalisées, et fondatrice de BrAIDS for AIDS, un organisme à but non lucratif dont la mission est de sensibiliser les communautés noires du Canada et du monde entier au VIH et au sida. Mme Frederick enseigne également au Collège Sheridan et anime des ateliers et des consultations sur la rédaction des demandes de subvention à l’intention des organismes à but non lucratif et des entreprises privées.
Cette entrevue a été modifiée pour en simplifier la clarté et en réduire la durée
Nous vous remercions de nous accorder du temps aujourd’hui, Stachen. Commençons par apprendre un peu à vous connaître. Dites-nous ce que vous faites et ce qui vous a attiré vers le secteur à but non lucratif?
Je porte plusieurs chapeaux au sein de la communauté. Je suis à la tête de l’organisme caritatif Frontlines à Toronto et j’ai fondé un organisme à but non lucratif, appelé BrAIDS for AIDS.
Je suis également professeure. J’enseigne la rédaction des demandes de subvention et le développement communautaire par le biais des collectes de fonds. Je conseille également plusieurs organismes à but non lucratif dans les domaines des collectes de fonds, de la rédaction des demandes de subvention, du développement des programmes, de la diversité et de l’inclusion. J’ai aussi travaillé auprès d’entreprises privées pour les aider à créer des pratiques équitables et à se concentrer sur l’aide communautaire.
Vous m’avez demandé ce qui m’avait attiré vers ce genre d’activités. Vous savez, « aider » les autres fait partie de mon être depuis mon enfance. J’ai toujours eu un désir ardent de travailler avec les jeunes. Au départ, j’ai obtenu une bourse en chimie. Mon projet était alors d’aller en école de médecine et de me spécialiser dans la psychiatrie pédiatrique.
Mais, lorsque j’ai pris une option en psychologie, j’ai compris que je ne voulais pas vraiment faire de la psychiatrie individuelle. En fait, je souhaitais m’orienter vers quelque chose de plus complet, comme la santé ou le développement communautaire. Plus précisément, j’ai constaté que ma communauté avait des besoins réels, surtout ma communauté noire qui avait grand besoin de financements. C’est ainsi que j’ai inclus les collectes de fonds à mon travail de développement communautaire. Parce qu’on ne peut pas faire ce travail sans argent.
Tout à fait… et c’est là qu’intervient la rédaction des demandes de subvention. À quelles idées préconçues avez-vous été confrontée lors de votre travail avec les organismes à but non lucratif qui rédigent des demandes de subvention?
Le secteur à but non lucratif est composé de structures très différentes. Nous avons les organismes caritatifs qui peuvent obtenir davantage de financements privés, par exemple, car ils peuvent fournir des justificatifs fiscaux. Et nous avons les autres. Ceux-ci sont souvent des organismes locaux soutenus par des bénévoles qui n’ont pas cette même structure. Les difficultés les plus répandues surviennent lorsque les gens ne comprennent pas la structure de leur organisme et ne savent pas s’ils peuvent accéder ou non aux différentes sources de financement.
Ensuite, vous avez ce qui est, à mon avis, la pire idée reçue : l’idée que rédiger une demande de subvention est compliqué.
J’essaie toujours d’aider les autres à comprendre que la rédaction d’une demande de subvention est, en réalité, une interaction humaine. Oui, vous êtes évidemment en train d’écrire un document, mais ce document est destiné à une vraie personne de l’autre côté de la table.
Lors de mes ateliers, je pose cette question : « Si quelqu’un frappait à votre porte et vous demandait 1 000 $, quelles questions lui poseriez-vous? »
Ensuite, imaginez que la personne qui lira votre demande de subvention vous pose ces mêmes questions.
Si quelqu’un frappait à votre porte pour vous demander 1 000 $, vous lui demanderiez d’abord pourquoi il a besoin de cet argent. Cette question est très courante dans les demandes de subvention : Quelle est votre vision? Quelle est votre mission? Quelles sont vos activités? Quelle est votre relation avec la communauté?
Vous pourriez évidemment répondre à cette question en expliquant les besoins de votre communauté. Par exemple, « nous devons mettre en place des programmes de prévention de la violence ou des programmes d’accès à l’emploi au sein de la communauté, parce que… ». Mais, pour aller plus loin, pourquoi avez-vous vraiment besoin de cet argent dans votre budget? À quoi l’argent va-t-il vous servir, dans le détail?
J’aime donc mettre au rebut l’idée que rédiger une demande de subvention est compliqué. Évidemment, on peut toujours améliorer la façon dont on écrit, mais l’une des choses les plus importantes à faire lorsqu’un organisme ou une personne rédige une demande, c’est d’exposer tous les éléments de base.
Beaucoup de personnes me disent qu’elles souhaitent embaucher un expert de rédaction des demandes de subvention. Mais cet expert s’attend tout de même à ce que vous ayez un minimum de connaissances. Après tout, vous êtes la personne qui connaît le mieux les besoins de votre communauté. Un expert peut inclure des statistiques et ce genre d’éléments, mais c’est vous qui parlez au nom des membres de votre communauté. À ce titre, vous devrez tout de même participer au travail.
Donc, même si vous embauchez un expert, ce n’est pas comme si vous n’aviez plus rien à faire. Voici une autre idée fausse : que les organismes n’ont pas à s’impliquer dans le processus de rédaction des demandes de subvention. En réalité, vous devez le faire, car c’est vous qui détenez les connaissances importantes.
C’est une bonne idée d’identifier ces idées fausses avant même de commencer. Maintenant, quels conseils donneriez-vous pour aider les rédacteurs de demandes de subvention à se préparer à cet exercice?
L’une des choses que je conseille est de connaître les éléments communs d’une subvention. Si vous avez une idée de projet, mettez cette idée et le cadre du projet dans ces éléments communs. Lorsqu’il est temps de rédiger les demandes de subvention, vous pourrez facilement copier et coller [certains éléments communs]. Il m’est arrivé de rédiger une demande de subvention en une soirée, parce que je sais déjà ce que les bailleurs de fonds vont demander.
Certains détails devront sans doute être modifiés pour qu’ils s’alignent aux exigences spécifiques d’une subvention, mais, en général, les bailleurs de fonds demandent tous à savoir qui vous êtes et quelles sont votre vision, votre mission et vos activités. Ils veulent savoir à quoi vous utiliserez cet argent et quels sont les besoins de votre communauté. Il est donc indispensable de créer des modèles de référence ou des gabarits.
Nous constatons actuellement que de nombreux bailleurs de fonds cherchent à donner des subventions pour les projets de diversité et d’inclusion sociale. Dans le processus de rédaction des subventions, évaluez la façon dont vous impliquez vos clients et votre communauté. Participent-ils à la gestion et à la direction de l’organisme? Assurez-vous de pouvoir répondre aux questions que les bailleurs de fonds posent de plus en plus.
Pensez également à tous les domaines, secteurs ou aspects dans lesquels votre projet s’intègre. Par exemple, je pourrais faire une demande de subvention axée sur la sécurité alimentaire. Je peux ensuite prendre le même projet et faire une demande auprès du secteur de la jeunesse, dans le but de créer des compétences culinaires chez les jeunes. Votre demande peut s’appliquer à différents domaines de financement. Il est donc important d’avoir une liste de ces domaines.
Les bailleurs de fonds vous demanderont également en quoi votre projet correspond à leurs centres d’intérêt et à leurs programmes de dons.
Que devrions-nous garder à l’esprit lorsque nous rédigeons une demande de subvention?
Ce que vous écrivez dans votre demande doit correspondre à votre budget qui, lui, doit correspondre à votre plan de travail. Il est important de parler le même langage partout.
Montrez aux bailleurs de fonds que vous avez effectué des recherches, en matière de prix par exemple. Si vous dites avoir besoin d’acheter un four, incluez des liens vers les fours à vendre sur le marché.
Je voulais également mentionner que les gens ne se rendent pas toujours compte de ce qui les différencie des autres.
Par exemple, si je parle de BrAIDS for AIDS, je peux affirmer qu’aucun autre organisme au monde n’utilise les cheveux comme outil pour parler du VIH. Donc, lorsque les bailleurs de fonds me demandent pourquoi ils devraient financer mon projet plutôt que celui d’autres organisations dirigées par des Noirs qui travaillent aussi sur le VIH et le sida, je peux leur dire que nous touchons un public complètement différent. Nous touchons des gens qui s’intéressent à la mode, qui veulent se faire coiffer, etc. et que nous présentons le VIH, le sida et d’autres renseignements sur la santé sexuelle dans ce cadre.
Posez-vous ces questions : Qu’est-ce qui vous rend unique? Qu’est-ce qui vous rend différent? C’est ce qu’il faut mettre en avant pour donner de la valeur à votre demande.
Lorsqu’ils s’engagent dans une action, les êtres humains cherchent naturellement à savoir ce qu’ils en retireront personnellement. Ils veulent sentir qu’ils font un don à un organisme crédible qui obtient des résultats et que leur don fait une différence.
Certains fondateurs veulent aussi savoir si un organisme est présent sur les réseaux sociaux et s’ils ont des abonnés. Comment allez-vous exprimer votre reconnaissance pour leur don?
Certaines personnes ont de la difficulté à expliquer pleinement l’impact de leurs programmes et à le relier aux intérêts du bailleur de fonds. Pouvoir exprimer tout cela est également important : comment votre projet pourra-t-il impliquer vos bailleurs de fonds? Comment pourra-t-il leur donner une bonne image?
Cette année a été unique et pleine de défis, c’est le moins qu’on puisse dire. La pandémie de COVID-19 a eu un impact sur nous tous, mais plus particulièrement sur les communautés marginalisées et vulnérables. À votre avis, quel impact la pandémie a-t-elle sur les demandes de subvention et les financements?
Certaines entreprises ne peuvent plus donner autant qu’avant. Certains organismes n’ont pas pu avoir les mêmes activités de collecte de fonds que d’habitude. Il y a donc une baisse importante des ressources.
De plus, le nombre des organismes à but non lucratif a augmenté en 2020 et en 2021. Il y a donc une augmentation de la concurrence et une baisse des ressources.
Est-il important de mentionner l’impact de la pandémie sur un organisme lors de la rédaction d’une demande de subvention?
Absolument. Je crois que beaucoup de bailleurs de fonds demandent : « Quel impact la pandémie a-t-elle eu sur votre organisme ou votre projet »?
Même à l’heure actuelle, à l’heure où nous rédigeons nos demandes, nous ne savons pas ce que la pandémie nous réserve. Nous devons donc planifier et prévoir cette instabilité.
Nous pouvons inclure une section de « fonds divers » dans nos demandes de subventions. Les vaccins affectent la présence au travail, les organisations doivent donc envisager de devoir licencier une personne qui ne souhaite pas se faire vacciner, ce qui aura évidemment un impact sur les délais et les échéances.
Donc oui, nous devons absolument prendre la pandémie en compte dans nos demandes de subvention.
Vous avez dit plus tôt que la diversité et l’inclusion étaient une facette importante de la rédaction d’une demande de subvention. Diriez-vous qu’il s’agit de quelque chose de nouveau?
Je dirais qu’un très faible pourcentage de bailleurs de fonds cherchaient ces éléments avant 2020. Mais nous voyons actuellement une augmentation du financement octroyé aux organismes Noirs et Autochtones. Si vous affirmez que votre organisme est « dirigé par les Noirs », par exemple, certains bailleurs de fonds exigent qu’au moins 60 % de votre conseil d’administration soient composés de membres de la communauté noire. Certains bailleurs de fonds vous demanderont également combien de membres de la communauté participent au projet, de la phase de la planification à la mise en œuvre.
Je pense qu’il est encore plus remarquable d’impliquer des personnes de la communauté dans le processus de rédaction des demandes de subvention. Il est donc important qu’un organisme puisse expliquer comment il met en œuvre ces éléments de diversité et d’inclusion.
Comment les organismes peuvent-ils mieux refléter leurs efforts en matière de diversité, d’équité et d’inclusion dans la rédaction de leurs demandes de subvention?
Assurez-vous que les partis concernés sont impliqués dans la planification et la mise en œuvre de votre projet. Utilisez leur voix pour parler de leurs besoins, en ajoutant des témoignages de la communauté, par exemple. Les organismes doivent réfléchir non seulement à la façon dont ils impliquent et incluent la communauté dans le processus, mais également comment ils mettent leur voix en avant dans leurs demandes de subvention.
Merci pour tous ces conseils, Stachen. Pour conclure, pouvez-vous nous donner cinq astuces importantes pour nous aider à rédiger des demandes de subventions?
- Identifiez les éléments communs des demandes de subvention. Créez des gabarits qui vous permettront de copier et coller certains de ces éléments. [Cela dit, assurez-vous de noter les différences entre chaque candidature, pour montrer au bailleur de fonds que vous l’écoutez].
- Assurez-vous que votre projet est aligné aux exigences du bailleur de fonds.
- Planifiez. Faites une liste des éléments dont vous aurez besoin pour la demande de subvention. Assurez-vous d’avoir un budget en place.
- Préparez-vous à fournir votre rapport annuel et/ou des lettres de soutien. Je vois souvent des organismes qui font l’erreur de demander des lettres de soutien ou des justificatifs la veille de l’échéance de la demande de subvention.
- Soyez très précis quant aux résultats attendus de votre travail ou de votre projet.
Les conseils de Stachen vous aideront pour cette saison de demande de subvention et pour les autres saisons à venir. Si vous êtes en train de préparer votre demande, n’oubliez pas de télécharger la Trousse d’outils pour la préparation d’une demande de subvention de Keela et Imagine Canada. Cette feuille de travail vous aidera à organiser votre demande et à rédiger une proposition convaincante, avec l’aide des petites astuces de Stachen.
Nos auteurs et autrices invité.e.s s’expriment à titre personnel. Leurs opinions ne reflètent pas nécessairement celles d’Imagine Canada.
Tobi est un auteur curieux qui aime trouver l’équilibre entre la narration, la technologie et l’action sociale. Lorsqu’il n’est pas en train d’écrire ou de faire la critique d’articles, il regarde très probablement des rediffusions de Mad Men ou suit les exploits du Club de soccer d’Arsenal, son club préféré.