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L’initiative BlackNorth et l’équité raciale au Canada : leçons d’engagement

L’initiative BlackNorth et l’équité raciale au Canada : leçons d’engagement

Dahabo Ahmed-Omer, directrice générale de l’initiative BlackNorth
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Le présent billet s’appuie sur une entrevue avec Dahabo Ahmed-Omer, directrice générale de l’initiative BlackNorth, un organisme de bienfaisance dont la mission est de mettre fin au racisme systémique à l’égard des personnes noires dans tous les aspects de notre vie, en passant par le monde des affaires. Les leçons tirées de ce travail peuvent s’avérer fort utiles pour les organismes à but non lucratif (OBNL) qui cherchent à créer des changements systémiques par une évolution des attitudes dans le secteur privé. Elles peuvent également inspirer les entreprises engagées dans la voie de l’équité raciale au sein de leur organisation. Les citations sont tirées de l’entrevue et, à l’occasion, adaptées aux fins de clarté. Toute interprétation est celle de l’auteur.

À l’été 2020, après des semaines de manifestations à l’échelle planétaire contre le racisme systémique à l’égard des personnes noires, Wes Hall, entrepreneur à Bay Street et philanthrope, a créé l’initiative BlackNorth (BNI). Son but : lutter contre le racisme anti-noir dans le monde des affaires canadien à l’aide de cibles mesurables pour suivre le progrès des efforts.

Au cœur de la BNI : l’engagement public de la présidence-direction générale (PDG) (CEO Pledge, en anglais) de concrétiser sept objectifs pour contrer le racisme anti-noir. Entre autres, les personnes noires doivent occuper 3,5 % des postes de direction et au sein du conseil d’administration (CA) et représenter au moins 5 % du personnel étudiant. Aussi, 3 % des dons et commandites de l’entreprise doivent servir les communautés noires. Tandis que certains objectifs ont une échéance à court terme, d’autres, comme la transformation de la composition de la main-d’œuvre et du portefeuille de dons, doivent être atteints d’ici 2025.

Les plus importantes sociétés canadiennes n’ont pas tardé à souscrire à la BNI qui comptait déjà plus de 200 signatures au moment de son lancement en 2020. Selon un article du Financial Post, en février 2021, 400 entreprises s’y étaient jointes, représentant 1,3 billion de dollars (en anglais) d’actifs. En octobre 2021, l’initiative avait attiré près de 500 signataires.

L’exemple de la BNI fait valoir à la fois la force et les défis inhérents à la collaboration avec le secteur privé pour générer un changement systémique dans le milieu des affaires canadien.

L’évaluation au cœur des changements systémiques

« Ce que nous essayons de faire à BlackNorth, c’est de développer un cadre d’évaluation de rendement qui permettra de mesurer comment l’engagement est mis en pratique dans chacune des entreprises et si la démarche est efficace », explique Mme Ahmed-Omer. « Les entreprises n’ont jamais été aussi nombreuses à collecter des données. »

Une enquête menée par le Globe and Mail en 2021 a mis en lumière l’occasion que représente la BNI, mais aussi ses défis. Résumé de l’enquête : « les entreprises démontrent peu de progrès sur le plan de la diversité. » Les journalistes avaient envoyé un sondage aux 209 premières entreprises signataires de l’engagement, dont 105 y ont répondu.

Parmi ces entreprises, un petit nombre faisait rapport d’un certain progrès : 15 % avaient augmenté le nombre de personnes noires au sein de leur personnel au cours de l’année précédente et 14 %, le nombre de cadres appartenant à la communauté noire. Un groupe plus important (26 %) disait avoir augmenté le nombre de personnes s’identifiant comme noires, autochtones ou personnes de couleur au sein de leur personnel.

Toutefois, l’enquête du Globe and Mail a aussi permis de comprendre que peu d’entreprises connaissaient leur position avant d’adhérer à la BNI. Près de la moitié (46 %) ne comptabilisaient pas le nombre de personnes noires au sein de leur organisation avant de souscrire à la BNI, et 33 % n’avaient pas encore commencé à la faire en juillet 2021.

Mme Ahmed-Omer maintient (en anglais) que l’évaluation continue est au cœur du succès à long terme de l’engagement de la PDG. « La responsabilité qui accompagne l’évaluation est tellement, mais tellement cruciale pour l’atteinte de l’équité raciale. »

Toutefois, faire le suivi de la part des personnes noires au sein de l’organisation n’est qu’une première étape, selon elle. « [I]l est aussi important de recueillir les bonnes données, pas seulement pour connaître le pourcentage des personnes noires dans l’équipe…, mais aussi pour savoir comment elles se portent, comment elles sont perçues par leurs collègues et dans quelle mesure elles vivent du racisme anti-noir. »

Elle explique que la BNI cherche à aider les entreprises à évaluer tous les aspects possibles, entre autres pour savoir si les personnes noires dans l’organisation « ont accès à l’équité, à l’inclusion, et aux occasions de promotion et de croissance. »

Changements systémiques : un effort de longue haleine

« L’engagement est formulé de manière à couvrir un horizon de cinq ans. Le progrès incrémental est primordial, car il nous permet d’observer les changements », explique Mme Ahmed-Omer.

Les cadres d’évaluation que les entreprises ont commencé à établir sont essentiels pour comprendre la concrétisation de ces changements.

« Ça ne fait qu’un an depuis le lancement, et il y a seulement un certain nombre de choses qu’on peut faire en un an », souligne Mme Ahmer-Omer. « Le racisme anti-noir s’est incrusté dans notre société pendant des centaines d’années, alors, il faudra du temps pour voir du progrès. »

 « Nous avons à peine gratté la surface » des possibilités de générer du changement.

À voir le nombre d’entreprises ayant mis en place un plan à long terme pour rectifier certains enjeux, il existe encore beaucoup de potentiel inexploré. Ainsi, selon l’enquête (en anglais) du Globe and Mail, 87 des premières entreprises signataires ont élaboré, avant ou depuis leur signature de l’engagement, un plan stratégique pour atteindre des objectifs en matière de diversité et d’inclusion.

D’après un autre sondage réalisé par la BNI auprès de ses signataires et publié en octobre 2021, 33 % des entreprises avaient un plan à jour en matière de diversité et d’inclusion comprenant des indicateurs de rendement clés. 46 % d’entre elles étaient en voie de le faire. Seulement 30 % disposaient d’une plateforme ou d’un système de collecte de données sur la diversité et l’inclusion, tandis que 37 % étaient en train d’en créer un.

Dahabo Ahmed-Omer Executive Director at The BlackNorth Initiative
Dahabo Ahmed-Omer

Directrice générale de l’initiative BlackNorth

Le soutien de la PDG au changement, un indispensable

En parlant de la perspective à long terme de l’initiative et des voix importantes nécessaires pour faire les changements, Mme Ahmed-Omer affirme que l’équipe de la BNI insiste sur le fait que l’engagement de chaque entreprise doit être appuyé par la personne ultimement responsable. « Pour nous, la personne qui signe l’engagement doit être celle occupant la PDG ou la présidence. C’est important que ce soit la PDG, plutôt que l’entreprise, car nous voulons que ce soit la personne la plus haut placée qui soit responsable de cet engagement. »

Elle explique qu’à plus d’une reprise, des personnes moins haut placées dans l’organisation souhaitaient signer l’engagement, mais la BNI a toujours maintenu son principe. « D’autres personnes peuvent être responsables de l’exécution des efforts, mais l’engagement doit être pris à la tête de l’organisation, car c’est là que la responsabilité ultime s’exerce. »

Au-delà de l’engagement de la PDG, les signataires acceptent « de créer un plan stratégique en matière de diversité et d’inclusion, et de le transmettre aux membres de leur CA », soit l’un des principaux objectifs de l’engagement.

Un playbook pour générer le changement 

« À quoi bon signer un engagement sans recevoir l’appui nécessaire pour le mettre en pratique? » fait valoir Mme Ahmed-Omer. Puis, elle décrit les outils et auxiliaires que la BNI est en train de développer pour aider les entreprises signataires. « C’est important que nous travaillions en partenariat. »

Depuis le début, l’un des sept objectifs auxquels les entreprises souscrivent est de « partager les meilleures pratiques et les pratiques inefficaces. » Et dès le début, la BNI a organisé des webinaires pour permettre aux entreprises de parler de leurs initiatives et a présenté des ateliers pour faire connaître des outils et pratiques exemplaires sur différents aspects de la diversité, de l’équité et de l’inclusion. Puis, elle a mis en place un programme de pairs afin de jumeler des signataires qui élaborent alors ensemble leurs stratégies de diversité et d’inclusion.

« Au cours de la dernière année, nous avons développé le Playbook (en anglais), un document de 200 pages qui sert de cadre, mais aussi de structure de base pour développer une stratégie de diversité et d’inclusion. » Le document est le fruit d’un effort de cocréation avec de un grand nombre de signataires et Boston Consulting Group. « Beaucoup de spécialistes et de stratèges du terrain y ont contribué pour faire en sorte qu’il s’applique à tous les milieux, tout en intégrant la perspective des communautés noires, autochtones et des personnes de couleur. C’est génial d’élaborer une stratégie, mais si vous le faites sans appliquer la perspective des communautés les plus touchées, votre stratégie ne servira à rien. »

Le Playbook explique l’état actuel des inégalités subies par les populations noires au Canada et propose un schéma pour comprendre l’équité à l’aide de six axes (occasions d’affaires futures, leadership, rémunération, approvisionnement, portefeuille et contribution). Pour chacun de ces axes, il propose des façons de trouver un point de référence, de prioriser et d’agir, avec des fiches de travail, des actions concrètes et des études de cas à l’appui.

Le Playbook propose également « une liste d’outils et de tactiques que les entreprises peuvent utiliser pour atteindre leurs objectifs de diversité, d’équité et d’inclusion et pour devenir des entreprises citoyennes équitables. » Le Playbook, disponible sur demande (en anglais), a été lancé en novembre 2021.

La philanthropie, élément clé du changement

Un élément de l’engagement qui attire parfois moins d’attention est l’approche philanthropique des entreprises. En effet, les signataires s’engagent à verser 3 % de tous les dons et commandites consenties à des communautés noires d’ici 2025.

Cet élément sert à corriger « le manque de ressources pour des initiatives portées par des personnes noires », explique Mme Ahmed-Omer. Elle réfère à une récente étude de la Fondation pour les communautés noires selon laquelle les plus grandes fondations publiques et privées au Canada avaient versé à peine 0,13 % de toutes leurs subventions à des organismes travaillant auprès des communautés noires et seulement 0,03 %, à organismes dirigés par des personnes noires.

« Pour toute entreprise qui souscrit à l’engagement, il est important d’investir dans ces initiatives dirigées par des personnes noires. Nous avons besoin de cet effort collectif pour soutenir ces organismes qui sont absolument sous-financés », explique Mme Ahmed-Omer. « Il existe tant d’initiatives, de programmes et d’approches incroyables pour éliminer le racisme anti-noir, mais malheureusement, ils manquent de ressources. C’est pourquoi il était important de demander au secteur privé canadien “que pouvez-vous faire pour appuyer ces initiatives?” »

Des entreprises ayant répondu au sondage d’anniversaire de la BNI, 37 % avaient un programme de dons ou de commandites pour soutenir les programmes ou initiatives dirigées par des personnes noires ou pour leurs communautés. Un autre 26 % indiquait être en train de créer un tel programme. On ne connaît pas le montant que les entreprises consacrent actuellement à ces organismes.

Un travail fait avec bienveillance

« Je dirais que la plus importante leçon apprise est que ce travail ne peut se faire sans bienveillance », dit Mme Ahmed-Omer. « Je suis une femme noire musulmane, et j’ai fait face à des obstacles multiples et multicouches. Mais je comprends que dans ce travail de lutte contre le racisme et pour l’inclusion et l’équité, nous devons rester humbles, faire preuve de bienveillance et ne pas accuser les gens, car ça ne nous mènera nulle part… »

Elle explique quelques-uns des éléments appris pendant son travail.

« Avec chaque personne à qui j’ai parlé, il y a eu des moments d’apprentissage et de compréhension alors que nous échangions sur nos expériences et nos réflexions. Et il y a eu aussi des conversations très inconfortables, mais elles nous ont tous aidés en fin de compte.

La plus grande leçon que j’ai retenue, c’est que nous devons faire ce travail avec bienveillance, parce que ce n’est pas facile. Ce travail est difficile et il a un effet sur le gagne-pain des gens et sur leurs chances dans la vie.

Le racisme anti-noir tue. En fait, il a tué plusieurs de nos communautés. Alors, nous nous assurons que nous pouvons faire ce travail, d’être bienveillant à l’égard des autres, mais aussi de sauver la vie des gens qui souffrent de cette réalité.

Le dernier conseil que je donnerais, c’est qu’avant tout, il faut essayer de changer des comportements. Car lorsque nous commençons à changer nos comportements, et que tous les gens autour de nous emboîtent le pas, c’est là qu’on peut créer un réel changement. »

Prochaines étapes

Les entreprises curieuses d’en apprendre plus sur la BNI (en anglais) sont invitées à partager l’engagement (en anglais) avec leurs collègues. Les entreprises déjà engagées sont invitées à télécharger (en anglais) le Playbook et à mettre au point des stratégies pour réaliser l’équité raciale dans leur organisation.

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