Dans son discours d’ouverture du budget fédéral 2022, la vice-première ministre et ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, déclare « permettez-moi d’être très claire […] : nous sommes absolument déterminés à faire en sorte que notre ratio de la dette au PIB continue de diminuer. Nos déficits doivent continuer de diminuer. Les dettes contractées pour assurer la sécurité et la solvabilité des Canadiens doivent être – et seront – remboursées ». Cet accent mis sur la réduction de la dette et du déficit pourrait marquer le début d’un débat public sur cette question. Dans le présent billet de blogue, nous nous pencherons sur les récentes tendances fédérales en matière de dette et de déficit, puis nous examinerons les répercussions que ces tendances pourraient avoir sur le secteur de la bienfaisance et sans but lucratif. Enfin, nous étudierons les voies à suivre en cas de réduction du financement aux organismes du secteur.
Tendances fédérales en matière de dette et de déficit
Dans le présent contexte, le déficit fait référence aux dépenses du gouvernement qui dépassent ses revenus au cours de l’exercice financier. La dette est le cumul des déficits annuels. L’austérité se définit comme un ensemble de politiques gouvernementales visant à réduire le déficit en haussant les impôts ou en diminuant les dépenses, ou les deux. Rien dans le budget ne suggère la mise en place de mesures d’austérité, mais le gouvernement réduit progressivement les dépenses d’urgence liées à la COVID‑19.
En raison des dépenses d’urgence que le gouvernement a dû effectuer pendant la pandémie de COVID‑19, le déficit a atteint des niveaux historiques entre 2019 et 2020, passant de 40,7 milliards à 325,5 milliards de dollars. Selon le Fonds monétaire international, le ratio de la dette au PIB du Canada était le plus élevé parmi les 35 pays à revenus élevés en 2020, et presque deux fois plus élevé que celui de l’Australie et trois fois plus élevé que les ratios de la Suède et de l’Irlande. Le déficit a toutefois commencé à diminuer dès le quatrième trimestre de 2021, principalement en raison des recettes excédentaires générées par l’augmentation du commerce des biens de consommation, avec en tête les produits pharmaceutiques et médicaux ainsi que les exportations de produits énergétiques et de véhicules et de pièces automobiles. Le budget 2022 présente des projections jusqu’en 2026‑2027 qui montrent une diminution constante du déficit prévu, de 113,8 milliards de dollars en 2021‑2022 à 8,4 milliards en 2026‑2027.
En 2022, la dette fédérale en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) s’établit à 46,5 %, et le gouvernement projette une diminution à 41,5 % en 2026‑2027. Le gouvernement fédéral énonce son intention de réduire le ratio de la dette au PIB à moyen terme, mais rien n’indique qu’il est nécessaire de faire de la réduction de la dette au PIB une priorité. En fait, le Canada a le plus faible ratio de tous les pays du G7. De plus, la théorie monétaire moderne (TMM), une école de pensée économique, remet en question la notion selon laquelle la dette doit être maintenue au minimum. Selon la TMM, les gouvernements ne devraient pas craindre une augmentation de la dette provinciale ou fédérale. Essentiellement, cette théorie affirme que les pays souverains qui exercent un plein contrôle sur leur monnaie peuvent imprimer autant d’argent que nécessaire puisqu’ils détiennent le monopole de la monnaie et peuvent faire des choix politiques pour contrer les pressions inflationnistes. Dans ce cadre macroéconomique hétérodoxe, la dette publique ne devrait pas être la principale priorité tant que les gouvernements détiennent des actifs générateurs de revenus comme garantie adéquate.
Graphique 1 : Projection de la dette fédérale en % du PIB, 2021-2022 – 2026-2027
Lien entre les dépenses fédérales et le secteur de la bienfaisance et sans but lucratif
Le lancement d’un examen exhaustif des politiques stratégiques permettra de cerner les possibilités d’épargner des ressources et de les réaffecter en adaptant les programmes et les activités du gouvernement à la nouvelle réalité post-pandémie. Parmi ces changements figure notamment le recours accru à la prestation de services virtuels et au travail à distance. Les organisations qui dépendent du financement gouvernemental ou qui soutiennent l’exécution de programmes gouvernementaux devraient porter attention à cet examen. Avant même que cet examen ait lieu, les organisations qui ont reçu un financement accru durant la pandémie en raison de la mise en œuvre des prestations de relance temporaires devront adapter leurs plans financiers au fur et à mesure que ces prestations prendront fin.
Outre l’impact sur le financement disponible pour les organismes de bienfaisance et les organismes à but non lucratif (OBNL), la fin des prestations de relance sera ressentie par les millions de Canadiens et de Canadiennes qui vivent sous le seuil de pauvreté ou près de celui-ci. La réduction des dépenses se traduira par une augmentation de la demande de biens et de services fournis par le secteur de la bienfaisance et sans but lucratif au même moment où celui-ci pourrait lui-même faire face à une diminution du soutien fédéral. Les contraintes en matière de financement dans ce secteur ne touchent pas uniquement les bénéficiaires des services; les données relatives aux mesures d’austérité qui ont suivi la crise financière de 2008 (article en anglais) montrent que ces mesures ont accru la précarité de l’emploi pour les travailleuses et les travailleurs.
On ne sait pas exactement comment ces répercussions vont se manifester à l’échelle provinciale et territoriale, car les politiques et les engagements financiers dépendent souvent de l’idéologie du parti au pouvoir. Le budget fédéral prévoit que l’ensemble des provinces et des territoires devront combler les déficits encourus pendant la pandémie, mais le calendrier et l’ampleur des moyens pour y parvenir varieront probablement selon les régions.
Que peut faire le secteur caritatif et sans but lucratif pour atténuer ces impacts?
Face à cette situation difficile, le secteur peut prendre plusieurs mesures pour mieux gérer les baisses de financement. Avant tout, les organisations peuvent continuer à plaider en faveur de mesures qui s’attaquent aux causes profondes des problèmes sociaux et environnementaux, comme l’éradication de la pauvreté et l’action climatique. De telles mesures permettraient de réduire la demande pour les services qu’elles offrent en éliminant ou en prévenant les conditions qui obligent des personnes et des familles à dépendre des organismes de bienfaisance et des OBNL. Lorsque les organisations plaident en faveur d’un changement systémique pour soutenir les bénéficiaires de leurs services, elles témoignent de leur engagement à améliorer les conditions sociales de façon altruiste. L’engagement à soutenir la redistribution du pouvoir augmente les perceptions d’engagement et de confiance entre les bénéficiaires de services et la communauté.
Les fusions et les regroupements (étude en anglais) concernent rarement les organismes de bienfaisance et les OBNL, mais il s’agit pourtant d’une solution concrète souvent profitable pour les parties concernées. Lorsque le financement se fait rare, une fusion peut amener des organisations qui offrent des services semblables, voire identiques à collaborer, réduisant ainsi le besoin de ressources pour soutenir deux cultures organisationnelles. Les fusions peuvent également faciliter l’utilisation des services pour les membres de la communauté, qui ont parfois du mal à s’y retrouver parmi les nombreux soutiens similaires. Ces mêmes avantages s’appliquent aussi aux donateurs et donatrices.
L’étude (en anglais) réalisée au Canada et au Royaume-Uni après la crise financière de 2008 révèle que lorsque les mesures d’austérité donnent lieu à une réduction du financement, il en résulte une hausse de la précarité de l’emploi, soit un plus grand nombre d’emplois temporaires et de sous-emplois. Le stress engendré par un travail de plus en plus précaire amène les organismes à s’attarder plus à la direction qu’aux membres du personnel, car les travailleurs et travailleuses vulnérables sont moins susceptibles d’exprimer leurs préoccupations. Bien que les femmes soient majoritaires dans le secteur de la bienfaisance et sans but lucratif, elles sont sous-représentées dans les postes de direction. Même situation pour les immigrantes, les femmes autochtones et racialisées, les femmes de la communauté LGBTQ et les femmes handicapées. Les organisations doivent donc déployer des efforts concertés pour faire en sorte que leur structure organisationnelle n’accentue pas la précarité de l’emploi des communautés marginalisées. Afin de régler les questions relevant du lieu de travail dans le secteur de la bienfaisance et sans but lucratif, la syndicalisation constitue une option susceptible de renforcer l’autonomie des travailleurs et des travailleuses grâce à de meilleures conditions de travail, un meilleur salaire, de meilleurs avantages sociaux et un meilleur contrôle au sein de l’organisation. Dans le cas des organismes dont le principal bailleur de fonds est le gouvernement, ils peuvent réclamer un financement de base adéquat qui leur permettra d’avoir de meilleures conditions de travail et de poursuivre leurs missions.
En résumé, la fin des prestations d’urgence liées à la COVID‑19 et les indications du gouvernement voulant que la réduction de la dette et du déficit soit de plus en plus une priorité budgétaire signifient que les organismes de bienfaisance et les OBNL risquent de subir une baisse de leur financement. Lorsque les autres ordres de gouvernement révéleront dans quelle mesure ils prioriseront la réduction de leur dette et de leur déficit, les impacts sur les organisations se préciseront. Dans le passé, la baisse du financement dans le secteur et les coupes dans les dépenses à caractère social se sont traduites par une plus grande dépendance envers les biens et les services offerts par les organismes de bienfaisance et les OBNL, tout en étant malheureusement associées à une plus grande précarité de l’emploi au sein du secteur. Pour ne pas reproduire ces conséquences déplorables et pour s’assurer de pouvoir continuer à répondre aux besoins de leur clientèle, les organismes du secteur devront peut-être envisager des fusions ou la syndicalisation, selon ce qui convient le mieux à leur situation particulière. Comme toujours, le rôle des organismes de bienfaisance et des OBNL dans la défense des besoins de leurs bénéficiaires reste central pour garantir les meilleurs résultats pour toutes les parties concernées.
Remerciements
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