Crystal Daniel est directrice, Philanthropie, partenariats d’entreprise à la Fondation canadienne des femmes, et férue des questions d’équité, d’inclusion, d’accès, de philanthropie féministe et de changement social.
Parlez-nous de votre parcours professionnel dans le milieu des collectes de fonds. Comment votre carrière a-t-elle évolué et comment cette évolution vous a-t-elle changé?
Mon parcours professionnel dans le domaine des collectes de fonds a commencé en 2001 lorsque j’ai été embauchée pour faire la recherche de donateurs.trices potentiel.le.s. Avant de faire le saut dans le secteur caritatif, j’ai travaillé pendant quelques années pour une société de conseil en gestion qui faisait de l’analyse d’entreprises, notamment dans le secteur des technologies. Ce travail a éveillé mon intérêt pour les affaires, l’analyse d’entreprise, le marketing et le développement de relations. En même temps, en faisant du bénévolat pour différents organismes caritatifs, j’étais témoin de la différence positive que leur travail faisait dans la vie des gens, et j’aimais en faire partie. J’ai donc décidé de poursuivre ma carrière dans le secteur caritatif. Je me disais que mon expérience dans le milieu des affaires pourrait servir à la collecte de fonds pour des initiatives et programmes caritatifs importants.
Je m’estime chanceuse d’avoir travaillé pour des organismes dans les domaines de la santé et des arts. Depuis plus de 10 ans, je travaille pour des organismes féministes qui reconnaissent les besoins critiques des femmes, filles et personnes de diverses identités de genre. Les questions d’inclusion, de justice sociale et d’équité me passionnent depuis toujours. Je me laisse guider par l’empathie, la bienveillance, l’équité et la justice, car chaque personne a une histoire qui influence son cheminement. Je suis une femme noire et mère, et mon travail se nourrit de mes expériences personnelles. L’intersectionnalité est au cœur de ce que je fais. Nous avons fait des progrès en matière d’équité, mais il nous reste beaucoup de travail à faire comme société. Je sens que ma détermination est encore plus forte depuis que je fais partie de la solution pour surmonter les problèmes systémiques vécus par les femmes, filles et personnes de diverses identités de genre, en travaillant à la Fondation canadienne des femmes.
Quel est le meilleur conseil que vous pourriez donner à une personne qui commence sa carrière dans le milieu de la philanthropie des entreprises ou des partenariats avec les entreprises?
Le meilleur conseil que je donnerais à cette personne est de se poser beaucoup des questions, d’être ouverte à apprendre en suivant des cours, en faisant des recherches et en se renseignant sur les différents domaines d’intérêt et en participant à des événements. Je lui dirais d’élargir ses cercles sociaux en faisant du bénévolat et en se joignant à des groupes ou associations. Posez-vous des questions : pourquoi travaille-je pour cet organisme? Qu’est-ce qui m’inspire et m’interpelle dans le travail de cet organisme? Votre enthousiasme se traduira dans votre travail avec vos partenaires du milieu des affaires. Faites preuve de curiosité pour en savoir plus sur les entreprises et les gens et les communautés servies pour trouver les liens entre eux. Il n’y a pas deux journées pareilles. Chaque jour, je travaille avec plusieurs entreprises partenaires existantes ou potentielles de différentes tailles et dans des secteurs très variés (finance, commerce de détail, industrie manufacturière, etc.). Il faut savoir s’adapter, être à l’écoute, gérer son temps, respecter le temps de l’autre, se soucier des détails et très bien comprendre la réalité des entreprises.
Avez-vous noté d’importants changements dans le financement institutionnel au Canada au cours des dernières années? Ou des changements qui se concrétiseront dans les prochaines années?
J’ai noté plusieurs changements dans le cadre de mon travail en philanthropie des entreprises. Aujourd’hui, les entreprises misent davantage sur les initiatives axées sur la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) et les critères ESG (environnemental, social et de gouvernance), p. ex. des engagements climatiques, de l’engagement communautaire, des dons caritatifs et la diversité du conseil d’administration ou de l’équipe de direction. Les attentes de toute la communauté, y compris les client.e.s et employé.e.s, augmentent. Les activités d’engagement des employé.e.s gagnent également en popularité avec l’augmentation du nombre de groupes de ressources pour les employé.e.s où les membres du personnel peuvent discuter de leurs expériences communes et d’occasions d’engagement. Je pense aussi à des aspects liés à l’investissement éthique communautaire. Les questions de DEI et les critères ESG continueront de prendre de l’importance et de la place dans les entreprises.
Il y a deux choses que j’aimerais voir les entreprises faire davantage. Premièrement, faire plus de dons sans restrictions pour que les organismes caritatifs puissent les utiliser pour leurs besoins les plus urgents. J’aimerais que les entreprises adoptent cette approche de financement parce que les besoins opérationnels des organismes sont tellement criants et cette approche permettrait d’y répondre. Deuxièmement, nouer des partenariats pluriannuels (plus de trois ans) à long terme avec les organismes caritatifs. Ainsi, les entreprises montreraient leur engagement à fournir un financement durable aux organismes pour leur donner le temps de régler des problèmes, d’établir l’effet à long terme d’un programme et d’évaluer les changements systémiques.
Parlez-nous d’une grosse « prise » que vous avez faite comme collectrice de fonds. Quels défis et leçons retenez-vous de cette expérience?
La patience et la stratégie sont les attributs clés pour attirer les dons majeurs des entreprises! Je suis une personne introvertie et curieuse de nature, et j’adore apprendre sur les gens et créer des liens avec eux. Cette facilité à développer et à nourrir des relations m’aide beaucoup dans mon travail. Cependant, lorsque j’obtiens un don d’une entreprise, ce n’est pas seulement le fruit de mon travail. C’est un effort d’équipe, et je dois absolument travailler avec mes collègues et bénévoles expérimentés à la Fondation. Lorsque j’entame les discussions avec des partenaires, je réfléchis toujours à la manière dont leur don permettra d’améliorer des vies et contribuera au maintien des programmes communautaires. J’aime créer des liens et voir comment les choses fonctionnent ensemble. Récemment, j’ai obtenu un important don d’une entreprise au bout de près d’un an de travail (ce qui n’est pas inhabituel pour les dons majeurs qui peuvent prendre de 12 à 18 mois avant d’être finalisés). Le processus comprenait beaucoup de recherche, de rencontres et de négociations pour mettre au diapason les buts et objectifs des deux organisations. La confirmation du partenariat était un moment très gratifiant. Je suis stratégique, mais je me fie aussi à mon intuition et j’ai un bon sentiment par rapport à ce partenariat.
Comment composez-vous avec les défis propres à la philanthropie des entreprises et comment les avez-vous surmontés?
Je suis consciente que le travail avec les entreprises implique des défis. C’est la nature même de ce travail. Le développement d’un partenariat avec une entreprise est un processus dynamique et continu pendant lequel il faut gérer les attentes. Ce processus comprend des hauts et des bas.
Parmi les défis que j’ai rencontrés au fil des ans, il y a le changement de personnel, un changement dans les priorités de financement et des contraintes budgétaires. Il est arrivé que des discussions sur un partenariat étaient sur le point d’être finalisées lorsque les priorités de financement ont complètement changé, rendant le partenariat caduc après des mois de travail. C’est décevant, mais cela arrive. Dans ce domaine, il est important de communiquer, de planifier, d’avoir un bassin de partenaires potentiels, de suivre les tendances et de se préparer à différents scénarios dans l’éventualité où un partenariat échoue.
Dans votre rôle à la Fondation canadienne des femmes, vous êtes aussi responsable de gérer les partenariats avec les entreprises. Souvent, lorsqu’on pense à la gestion des relations, on pense aux donateurs.trices individuel.le.s. Comment abordez-vous la gestion des relations avec les donateurs institutionnels comme les entreprises et les fondations?
La gestion des relations est une question d’engagement : de l’entreprise, de ses employé.e.s et des communautés. Il est crucial de développer un partenariat à long terme. La communication est la clé pour créer des liens et de la confiance. J’écoute mes partenaires et je leur pose des questions pour recueillir de précieuses informations sur la meilleure façon de travailler et de grandir ensemble. Je réfléchis à ce que nous pourrions faire à la Fondation, dans le respect de notre mission et de nos valeurs, et à ce que notre partenaire souhaite réaliser. Je peux compter sur des collègues merveilleux.euses, passionné.e.s et assidu.e.s qui me soutiennent et veulent travailler ensemble pour offrir d’excellentes expériences à nos partenaires. Mon travail comprend beaucoup de collaboration avec les équipes de philanthropie, d’engagement du public, des opérations, des initiatives communautaires et notre équipe de direction. Pour une expérience optimale de nos partenaires, il est important que leurs employé.e.s aient la possibilité de découvrir notre travail relatif à la justice de genre et apprennent comment il s’inscrit dans les objectifs de l’entreprise. Ainsi, on peut inviter les employé.e.s à siéger à des comités, organiser un forum des employé.e.s pour des échanges sur les questions d’équité des genres, leur fournir des outils pour des appels à l’action, les inviter à des événements pour leur présenter notre travail et les résultats du financement, et leur transmettre les rapports d’impact comprenant des témoignages, mais qui montre aussi comment les programmes financés aident les participant.e.s à atteindre leurs objectifs.
Quelles sont vos ressources d’information incontournables pour trouver de l’inspiration pour votre travail et pour rester à l’affût?
Dernièrement, j’ai recommencé à faire de l’exercice après une longue pause. Alors, pendant mes longues marches ou entraînements, j’écoute des balados, dont, bien sûr, le balado de la Fondation canadienne des femmes, “Alright, Now What”?, le balado Imagine d'Imagine Canada, et le The Giving Black Podcast. Parmi mes abonnements, il y a l’infolettre 360° d’Imagine Canada et CCF Rewind de Community Centric Fundraising. Puis, pour connaître la perspective des entreprises, je lis plusieurs publications canadiennes sur le monde des affaires, dont The Globe and Mail et BNB Bloomberg. Les sports ont aussi un effet inspirant sur moi, alors, dans mes temps libres, pour me détendre, je regarde toutes sortes de sports. J’aime beaucoup le tennis depuis mon enfance et j’ai passé plusieurs années à regarder mon fils jouer au soccer.