Avec la fin prochaine de l’année 2024, nous nous rapprochons aussi de la marque de cinq ans passés depuis que la COVID‑19 a commencé à prendre la planète en otage, avec les bouleversements sociaux, économiques et politiques que l’on sait. Bien que le virus ne fasse plus les manchettes, les conséquences économiques de cette période continuent de se répercuter sur le secteur et ses activités quotidiennes auprès des communautés qui en dépendent. Dans ce billet, nous comparons la situation actuelle du secteur avec celle d’il y a un an sur le plan de l’emploi, des finances et de la demande. L’analyse s’appuie en grande partie sur les résultats du troisième trimestre de l’Enquête canadienne sur la situation des entreprises (ECSE) pour les années 2023 et 2024.
Heureusement, ces résultats sont aussi positifs. Ainsi, selon les plus récents chiffres de l’ECSE, 28 % des organismes à but non lucratif (OBNL) disent ne pas anticiper de défis particuliers au cours des trois prochains mois, contre 22 % il y a un an1. De plus, les organismes se montrent plus optimistes quant à l’avenir, soit 95 % d’entre eux, contre 88 % l’an dernier2.
Certains indicateurs économiques et financiers envoient des signaux positifs, mais des préoccupations demeurent
L’économie canadienne a récemment envoyé quelques signaux positifs. Après avoir atteint en août la cible de 2 % établie par la Banque du Canada, l’inflation a continué à diminuer pour atteindre 1,6 % en septembre, selon les données de Statistique Canada3. La Banque du Canada a commencé à accélérer la baisse de son taux directeur, une décision dont l’effet devrait commencer à se faire sentir à l’échelle de l’économie. En outre, en septembre, le taux de chômage a reculé et le nombre d’emplois créés a dépassé les attentes de bien des économistes4. Pour l’instant, il semble que nous avons évité la récession sur le plan technique. Cependant, comme le soulignent les économistes, ce constat s’expliquerait surtout par une récente hausse de l’immigration qui cacherait des conditions s’apparentant à une récession. Dans tous les cas, les ménages continuent à ressentir la pression, tout comme les OBNL. Alors, qu’en est-il de la santé financière actuelle du secteur?
La présence de ressources financières suffisantes dans une organisation pour payer ses factures et maintenir ses activités représente un important indicateur de sa santé financière. Au troisième trimestre de 2024, 4 % des OBNL rapportaient ne pas disposer des liquidités nécessaires pour les trois prochains mois et ne savaient pas s’ils allaient parvenir à les obtenir ou savaient qu’ils n’allaient pas y parvenir. Ce chiffre représente une légère baisse par rapport au 5 % enregistré en 20235. Il semble donc que la grande majorité des OBNL se trouvent dans une situation financière stable à court terme.
L’effet de l’inflation sur le secteur semble s’atténuer quelque peu. Bien que 11 % des organismes voient toujours dans l’inflation leur plus important défi à court terme, plusieurs indicateurs évoluent dans un sens positif. Comparativement à l’an dernier, plus d’OBNL s’attendent à une hausse de leurs revenus opérationnels dans les trois prochains mois (23 % contre 14 % en 2023). En même temps, ils sont moins nombreux à s’attendre à une hausse de leurs dépenses opérationnelles pendant cette période (32 % contre 39 % en 2023). La proportion d’organismes qui pensent que leur réserve de liquidités diminuera dans les prochains mois s’établit à 17 %, inchangée depuis 20236.
Dans l’ensemble, le secteur, comme la majorité de l’économie, présente un portrait financier mixte. Certains signaux portent à croire que nous sommes passés le creux des répercussions de l’actuel ralentissement économique sur le secteur. Cela dit, nous ne sommes pas encore tirés d'affaires considérant le nombre important d’OBNL qui continuent d’éprouver des difficultés financières.
De récentes données du Projet Canada perspectives des organismes de bienfaisance éclairent davantage sur les besoins et défis financiers du secteur. Ainsi, 55 % des organismes de bienfaisance enregistrés affirment chercher sans cesse du financement pour couvrir leurs dépenses d’exploitation de base. Cette pression constante détourne leur attention d’autres tâches importantes7. Une grande majorité des organismes (68 %) rapportent que le financement sans restriction représente le type de financement dont ils bénéficieraient le plus. Malheureusement, ils sont aussi majoritaires (55 %) à dire que ce type de financement est le plus difficile à obtenir8. Qui plus est, deux tiers des organismes de bienfaisance voient dans la compétition pour des ressources de financement limitées leur principal défi pour couvrir leurs coûts d’exploitation9.
Des défis liés à la main-d’œuvre anticipés par 40 % des OBNL, en baisse depuis 2023
Plus que tout autre défi, le recrutement de personnes qualifiées a été l’obstacle le plus souvent nommé par les OBNL dans la dernière ECSE10. Néanmoins, les données révèlent aussi certaines tendances porteuses d’espoir. Notamment, 40 % des OBNL s’attendent à rencontrer des obstacles liés à la main-d’œuvre dans les trois prochains mois, contre 50 % il y un an, une baisse qui ressemble beaucoup à celle observée dans toute l’économie. Cette baisse se reflète dans deux indicateurs liés à la main-d’œuvre : 31 % des OBNL anticipent des difficultés dans le recrutement d’employé.e.s qualifié.e.s (contre 38 % en 2023) et 23 % anticipent que le maintien en poste d’employé.e.s qualifié.e.s représentera un défi (contre 34 % en 2023)11.
Selon ces données, la pénurie de main-d’œuvre continue clairement à préoccuper une bonne part du secteur, mais dans certaines parties, les plus grandes difficultés semblent être chose du passé. Malheureusement, peu de données existent qui nous permettraient de mieux comprendre les parties du secteur les plus touchées par la pénurie de main-d’œuvre.
Les difficultés du secteur liées à la main-d’œuvre ont des effets concrets dans les communautés. En Ontario, la pénurie de personnel met à risque l’atteinte des cibles en matière de soins de longue durée. Au Québec, le Service d’interprétation visuelle et tactile fait face à un manque important d’interprètes en langue des signes. Au début de l’année, à Sudbury, plusieurs centres à la petite enfance francophones ont dû temporairement fermer leurs portes en raison d’un manque de personnel qualifié.
Demande
La proportion d’organismes qui anticipent une hausse de la demande au cours des trois prochains mois est restée presque inchangée à 30 % depuis un an12. Par conséquent, la majorité des OBNL (70 %) s’attendent à une demande stable ou en baisse.
De manière générale, nous avons l’habitude de voir la demande pour les programmes et services fournis par les OBNL dépasser la capacité du secteur à répondre à cette demande. Une perspective historique s’impose. Selon les données de Statistique Canada, en 2023, 46 % des OBNL rapportaient une augmentation de la demande au cours de l’année, dont 21 % qui rapportaient une augmentation significative. Nous pouvons comparer ces données à celles colligées par Imagine Canada en 2013, à la fin de la période de ralentissement économique déclenchée par la crise financière de 2008. À l’époque, 53 % des organismes de bienfaisance rapportaient une hausse de la demande pour leurs produits et services13. En 2016, Imagine Canada a publié une analyse prédisant un « déficit social » grandissant jusqu’en 2026 lorsque la demande excéderait de loin les capacités et ressources financières. Cette projection s’appuyait sur de nombreux facteurs, dont le vieillissement de la population, la consommation accrue de substances et la hausse de l’immigration. Aujourd’hui, bien sûr, la crise du logement et les répercussions de la pandémie, entre autres, figureraient sur cette liste. Bref, l’écart actuel entre la demande et les capacités dans le secteur n’a rien de nouveau. Il représente plutôt la suite de tendances existantes.
Les résultats de l’ECSE obtenus plus tôt cette année permettent de mieux comprendre quelles parties du secteur dépassent le plus leurs capacités. En effet, 24 % des OBNL rapportaient que leur capacité à répondre à la demande a augmenté en 2023, tandis que chez 13 %, cette capacité a diminué. La pression subie par les sous-secteurs variait. Ainsi, 70 % des organismes dans les sous-secteurs de la santé et des services sociaux et 64 % des organismes dans les sous-secteurs de l’environnement et du droit, de la défense d’intérêt et des politiques ont enregistré une hausse notable de la demande, sans que leurs capacités internes aient suivi au même rythme. Autres exemples, les organismes pour la sécurité alimentaire et les refuges d’urgence croulent sous la pression comme en témoignent de nombreuses histoires rapportées. Enfin, l’augmentation de la demande variait aussi en fonction du type d’organisme. Elle était plus significative chez les organisations de moyenne et de grande taille que chez les petits organismes (en fonction du nombre d’employé.e.s), ainsi que chez les organismes de bienfaisance que chez les OBNL sans statut de bienfaisance14.
1 Statistique Canada, tableau 33-10-0860-01 : Obstacles à surmonter par les entreprises ou organismes au cours des trois prochains mois, troisième trimestre de 2024 et tableau 33-10-0689-01 : Obstacles à surmonter par les entreprises ou organismes au cours des trois prochains mois, troisième trimestre de 2023.
2 Statistique Canada, tableau 33-10-0889-01 : Perspectives d’avenir au cours des 12 prochains mois, troisième trimestre de 2024 et tableau 33-10-0716-01 : Perspectives d’avenir au cours des 12 prochains mois, troisième trimestre de 2023.
3 Statistique Canada, Indice des prix à la consommation, septembre 2024.
4 Statistique Canada, Enquête sur la population active, septembre 2024.
5 Statistique Canada, tableau 33-10-0748-01 : Liquidités et accès aux liquidités au cours des trois prochains mois, quatrième trimestre de 2023 et tableau 33-10-0884-01 : Liquidités et accès aux liquidités au cours des trois prochains mois, troisième trimestre de 2024.
6 Statistique Canada, tableau 33-10-0688-01 : Attentes des entreprises ou des organismes pour les trois prochains mois, troisième trimestre de 2023 et tableau 33-10-0859-01 : Attentes des entreprises ou des organismes pour les trois prochains mois, troisième trimestre de 2024.
7 CICP-PCPOB. (2024). CICP-PCPOB Weekly Report - Rapport Hebdomadaire (No. 2.4.14) Philanthropy and Nonprofit Leadership, Carleton University. https://carleton.ca/cicp-pcpob/homepage/research-data/
8 CICP-PCPOB (2024), CICP-PCPOB Weekly Report - Rapport Hebdomadaire (no 2.9.33), Philanthropy and Nonprofit Leadership, Université Carleton : https://carleton.ca/cicp-pcpob/homepage/research-data/
9 CICP-PCPOB (2024), CICP-PCPOB Weekly Report - Rapport Hebdomadaire (no 2.4.14), Philanthropy and Nonprofit Leadership, Université Carleton : https://carleton.ca/cicp-pcpob/homepage/research-data/
10 Statistique Canada, tableau 33-10-0690-01 : Obstacle le plus difficile auquel l’entreprise ou l’organisme s’attend au cours des trois prochains mois, troisième trimestre de 2023 et tableau 33-10-0861-01 : Obstacle le plus difficile auquel l’entreprise ou l’organisme s’attend au cours des trois prochains mois, troisième trimestre de 2024.
11 Statistique Canada, tableau 33-10-0860-01 : Obstacles à surmonter par les entreprises ou organismes au cours des trois prochains mois, troisième trimestre de 2024 et tableau 33-10-0689-01 : Obstacles à surmonter par les entreprises ou organismes au cours des trois prochains mois, troisième trimestre de 2023.
12 Statistique Canada, tableau 33-10-0688-01 : Attentes des entreprises ou des organismes pour les trois prochains mois, troisième trimestre de 2023 et tableau 33-10-0859-01 : Attentes des entreprises ou des organismes pour les trois prochains mois, troisième trimestre de 2024.
13 Imagine Canada, Enquête sectorielle, vol. 3, no 2.
14 Statistique Canada, tableau 33-10-0803-01 : Changement du niveau global de la demande et de la capacité de l'organisme sans but lucratif à répondre à la demande pour des services ou des produits, 2023.