Pourquoi il est impératif de décoloniser les conseils d’administration pour assurer l’équité
Le racisme systémique se manifeste sous multiples formes de disparités et d'iniquités que ce soit en matière de santé ou au niveau du statut social, ou sous forme d'exclusion quant à la participation et à la représentation sociale des personnes concernées. Les communautés touchées par le racisme systémique sont tenues à l’écart et ne peuvent ainsi participer et profiter pleinement des activités sociales, économiques, politiques et citoyennes. Cette exclusion ne se crée pas par elle-même. Elle est le résultat de notre culture, de nos normes et de notre éthique construites de façon volontaire et systémique.
Pour véritablement comprendre l’impact que cela peut avoir sur les communautés racisées et marginalisées, il faut effectuer notre examen de conscience et prêter une attention particulière à nos institutions. Dans le secteur à but non lucratif, c’est au niveau de la gouvernance que cet impact se fait vraisemblablement le plus ressentir. Le conseil d’administration est la plus haute instance imputable d’une organisation ou d’une institution. C’est le conseil d’administration qui établit la direction d’une organisation et ses politiques.
Le contexte actuel est propice au changement. Le meurtre de George Floyd, le mouvement Black Lives Matter et les effets disproportionnés de la pandémie de COVID-19 sur les communautés noires ont conscientisé aux injustices que vivent les communautés noires et autochtones depuis plusieurs générations. On est actuellement témoin d’une nouvelle volonté à (ré)agir et à écouter les voix des communautés noires, autochtones et de couleur (PANDC).
Nous savons depuis longtemps que les CA manquent de diversité
Même avant que Statistique Canada publie de nouvelles données sur la diversité au sein des conseils d’administration, on savait déjà que les communautés noires, autochtones et de couleur étaient largement sous-représentées au sein des conseils d’administration et les sphères de gouvernance et de leadership. En août 2020, le Diversity Institute de l’Université Ryerson a publié un rapport qui démontre clairement cette disparité alarmante1.
Si on n’est pas autour de la table….
Comme le dit l’expression, si on n’est pas autour de la table, on risque de se retrouver au menu et d’autres prendront les décisions qui nous concernent. Même avec de bonnes intentions, cette autre personne (généralement blanche, privilégiée et de classe moyenne) ne prendra pas la meilleure décision pour nous. C’est la raison pour laquelle le principe « Rien sur nous sans nous » et le principe africain « Kujichagulia » (Koo-jee-cha-goo-LEE-ah) ou d’autodétermination sont essentiels pour les communautés noires et autochtones.
Il n’y a pas que les chiffres qui comptent
En 2019, la Ville de Toronto, en conformité avec son Plan d’action pour lutter contre le racisme à l’égard des personnes noires, a recommandé une plus grande représentation des communautés noires au sein des conseils d’administration en santé et en service social.
Lorsque la Ville de Toronto a émis un appel à propositions pour répondre à ce problème de sous-représentation, le TAIBU Community Health Centre a proposé le Black Governance & Leadership Project (BGLP). Ce projet vise à renforcer les capacités des organisations locales au service des communautés noires afin qu’elles deviennent plus viables et qu’elles préparent les personnes issues des communautés noires à siéger à des conseils d’administration. Toutefois, l’aspect le plus important du BGLP est son travail effectué auprès d’institutions pour changer leur culture et leurs processus liés aux conseils d’administration en vue d’être prêtes à accueillir des personnes racisées et marginalisées autour de la table et à assurer leur pleine participation.
Les instances de gouvernance posent plusieurs défis. J’ai moi-même le privilège de siéger à différents conseils d’administration et comités. Même en étant privilégié à bien des égards (de par mon éducation, mon titre, ma maîtrise de la langue, mon orientation hétérosexuelle), c’est toujours intimidant ou stressant. L’expression « Black fatigue » décrit la frustration que ressentent fréquemment les personnes noires, autochtones et de couleur siégeant à des conseils d’administration, lorsque leurs points de vue sont poliment ignorés ou qu’elles doivent travailler deux fois plus durement pour assurer une participation équitable. Le fait de simplement « ajouter » plus de personnes noires, autochtones et de couleur au sein d’un conseil d’administration sans changer la culture et les processus réconforte peut-être la conscience du CA, mais ne mènera à aucun réel changement.
Seule la décolonisation peut assurer une représentation équitable
En se basant sur l’approche du BGLP, si vous souhaitez accroître la représentation des communautés noires (ou de toute autre communauté racisée) au sein de votre structure de gouvernance et de vos processus décisionnels, je vous conseille de ne pas commencer par élaborer une stratégie de recrutement, mais plutôt d'amorcer un processus de décolonisation.
Selon l’Indigenous Corporate Training Inc, la décolonisation est un processus à long terme qui implique de se départir du pouvoir colonial aux niveaux bureaucratique, culturel, linguistique et psychologique. Cela implique aussi de démanteler les structures qui perpétuent les façons européennes d’être, de faire et d’apprendre.
La décolonisation commence par reconnaître l’existence et l’impact du racisme à l’égard des personnes noires et autochtones, son caractère systémique et sa présence au sein de l’organisation qui est gouvernée par le conseil d’administration. Elle demande de mener une réflexion quant à ses privilèges et ses perceptions des communautés racisées.
La décolonisation fait aussi référence à la valorisation et à l’inclusion des perspectives, des normes, des principes et des méthodes de connaissance provenant d’autres cultures et communautés au sein de la gouvernance de l’organisation. Dans le cas des communautés autochtones, on parle d’« indigénéité ». Pour les personnes afrodescendantes, on parle d’« afrocentrisme ».
La décolonisation est la création d’un processus assurant l’imputabilité pour soi et pour le conseil d’administration. On ne peut être imputable sans le transfert de pouvoir, ou dans notre langage (à la mode), sans l’autonomisation des personnes noires, autochtones et de couleur.
Bien que la responsabilité de décoloniser l’espace de gouvernance incombe à l’organisation elle-même, le succès dépend des liens de confiance entretenus avec les communautés qu’elle sert. La décolonisation, c’est aussi devenir un défenseur des droits des personnes racisées et marginalisées et, ultimement, acquérir le statut d’allié.
Il est temps de passer du menu à la table. Cela est possible seulement lorsque la table est bien mise et qu’elle favorise une participation équitable. Les valeurs des communautés doivent être respectées et considérées comme égales (et non comme « exotiques » ou « autres ») avec leurs principes, leurs façons de faire et leurs formes de connaissances, jusqu'à devenir parties intégrantes de la culture et des processus du conseil d’administration.
1 Diversity Leads, Diverse Representation in Leadership: A review of Eight Canadian Cities, Canada, 2020.
2 Mary-Frances Winters, (2020), Black Fatigue: Racism, Organizations, and the Role of Future Leadership, Hesselbein & Company.
Nos auteurs invités s’expriment à titre personnel. Leurs opinions ne reflètent pas nécessairement celles d’Imagine Canada.
En tant que premier directeur général de TAIBU Community Health Centre, Liben Gebremikael dirige l’organisation depuis 2008 et chapeaute le développement et la mise en œuvre de plusieurs programmes et services communautaires et afrocentriques. Il détient une maîtrise en migration, santé mentale et travail social de l’Université du Kent (Royaume-Uni). Il est récipiendaire du prestigieux prix des « Leaders émergents » de l’Alliance pour des communautés en santé.