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« Je ne me sens pas en sécurité au travail » – Notre échec à protéger le personnel du secteur sans but lucratif contre le harcèlement sexuel

« Je ne me sens pas en sécurité au travail » – Notre échec à protéger le personnel du secteur sans but lucratif contre le harcèlement sexuel

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Une personne sur quatre 

C’est le nombre de femmes œuvrant dans le domaine de la collecte de fonds qui déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail.1

J’aimerais que vous réfléchissiez à cela dans le contexte de votre organisme. Un quart (25 %) des professionnelles en collecte de fonds avec lesquelles vous travaillez ont subi des « comportements, propos, gestes ou contacts d’ordre sexuel » non désirés ou humiliants.2

Maintenant, pensez à votre équipe et rappelez-vous qu’une femme sur quatre a été harcelée au travail.

Cette personne, c’est peut-être vous.

Je suis cette personne sur quatre.

670 jours

Il s’est écoulé 670 jours depuis que j’ai parlé du harcèlement sexuel dont j’ai été victime dans un article d’opinion pour la CBC. Depuis, une pandémie mondiale nous a frappés et le monde a subitement cessé de fonctionner. La gestion de cet événement historique a fait en sorte que les discussions sur la sécurité au travail semblent avoir disparu.

Le racisme systémique a été amplifié par la pandémie et une nouvelle vague du mouvement #BlackLivesMatter a déferlé sur la scène publique. Le besoin de justice sociale s’est ancré dans la conscience collective; des organismes se sont engagés à mettre fin aux pratiques racistes et à promouvoir la diversité et l’inclusion, et la société s’est penchée sur ses préjugés inconscients.

Malheureusement, c’était trop peu, trop tard.

Un été de scandales

Au Canada, des histoires scandaleuses au sujet d’environnements de travail toxiques ont été dévoilées au grand jour. Des membres du personnel du Musée canadien de l’histoire, du Musée canadien des droits de la personne et de l’organisme de bienfaisance UNIS ont rendu publiques des histoires de harcèlement et de racisme systémique en milieu de travail. Un thème commun se dégageait de ces histoires : les conseils d’administration et les dirigeants de ces organismes n’ont pas écouté et n’ont rien fait pour agir.

Le monde a changé, et pourtant notre secteur n’a pas assez changé. Sous le couvert de la responsabilité fiduciaire, nous ne protégeons pas nos propres employés.

Voilà la plaie qui ronge notre secteur. Comment pouvons-nous remédier à notre incompétence si nous ne sommes pas conscients de son existence? Comment faire partie de la solution au lieu du problème?

L'histoire de Francine

J’en ai assez de raconter mon histoire. Je vais donc plutôt vous raconter celle d’une personne que nous appellerons « Francine ».

Francine est cette personne sur quatre.

Francine est une jeune professionnelle en collecte de fonds qui a subi du harcèlement sexuel au travail. À l’instar de nombreuses victimes auxquelles j’ai parlé, elle souhaite conserver l’anonymat. Elle craint que la divulgation de son histoire ne permette de reconnaître l’organisme et de nuire à une cause qui lui tient à cœur.3

L’expérience que Francine a vécue est tristement du déjà-vu. Elle a été harcelée sexuellement au travail par un collègue, l’a signalé, n’a pas obtenu le soutien escompté et a quitté l’organisme par la suite.

Le traumatisme lié au signalement 

Le processus de signalement du harcèlement sexuel déclenche de vives émotions chez de nombreuses victimes.

« Le signalement a validé les expériences que j’ai vécues. Je me disais, oui, ce qui est arrivé était du harcèlement sexuel », souligne Francine. « On passe tellement de temps à fermer les yeux sur ce genre de comportement juste pour pouvoir terminer sa journée de travail; le signalement vous oblige à reconnaître que vous avez été agressée. »

L’anxiété que ressentait Francine après avoir signalé l’agression s’est manifestée sous forme de crises de panique. Plusieurs semaines après le signalement, Francine a eu sa première crise. « Je marchais vers mon immeuble de bureaux ce jour-là et j’ai eu l’impression qu’un gros nuage sombre planait au-dessus de lui », explique-t-elle. « Plus j’approchais de l’immeuble, plus j’avais de la difficulté à respirer, et je me suis mise à trembler de tout mon corps. Je n’avais jamais vécu cela auparavant, et j’ai alors compris toute la puissance d’une réaction physique pouvant découler d’un traumatisme. »

Le signalement ne fait pas en sorte que la victime se sent automatiquement plus en sécurité au travail. C’est plus souvent le contraire qui se produit; la victime se sent exposée et vulnérable, et craint les représailles. Puisque les victimes ne veulent pas être perçues comme des employées à problèmes, beaucoup ne parlent pas à leurs supérieurs du malaise et de l’anxiété qu’elles ressentent en venant au travail.

Qui prend la défense de la victime?

Lorsque Francine a signalé le harcèlement dont elle était victime, son employeur a fait tout ce qu’il était légalement tenu de faire. L’équipe de direction a pris sa plainte au sérieux et a répondu à ses préoccupations. Cependant, on n’a pas proposé à Francine la tenue d’une enquête indépendante ni de services de counseling – en fait, elle a dû trouver de l’aide par elle-même. Et on ne l’a même pas informée au sujet du Programme d’aide aux employés de l’organisation.

« J’estime avoir eu de la chance, car on m’a crue et on a donné suite à ma plainte, ce qui n’est pas le cas de toutes les victimes », dit-elle. « Néanmoins, il manquait quelque chose dans le processus. Personne ne s’est porté à ma défense. C’était un fardeau émotionnel qui s’ajoutait à un processus déjà très traumatisant. »

Des politiques et des procédures peuvent être utiles pour orienter le processus, mais il est impératif de fournir un soutien impartial à la victime et de réduire le stress lié au signalement. Des études scientifiques révèlent que le stress chronique peut entraîner des difficultés de concentration ou de réflexion, des problèmes de mémoire, un manque de confiance en soi et des difficultés à prendre des décisions4. Donner aux victimes l’accès à des services de consultation psychologique ou à un processus de résolution facilitée fondé sur les principes de la justice réparatrice peut faire une énorme différence et conduire à un meilleur dénouement et à la guérison.

Les dirigeants des organisations doivent reconnaître que les choses ne sont plus du tout les mêmes pour les membres du personnel qui ont été victimes de harcèlement. Elles, puisque ce sont principalement des femmes, ne se sentent plus en sécurité lorsqu’elles font leur travail – au bureau ou lors d’événements publics – et il incombe à l’employeur de remédier à cette situation. Il est de notre devoir moral et légal de donner à nos employés un sentiment de sécurité, tant physique que psychologique. Toute autre attitude est inacceptable.

Offrir une formation à vos équipes de gestion et de direction

Outre lui fournir des ressources externes, Francine aurait souhaité que sa gestionnaire soit formée pour gérer le signalement du harcèlement dont elle avait été victime.

« Je faisais partie de la même équipe que mon harceleur et je devais travailler en étroite collaboration avec lui, dont l’accompagner aux réunions avec les donateurs », explique Francine. Malgré la gravité de sa plainte, sa supérieure lui a demandé de « faire comme si de rien n’était » et de continuer à travailler avec l’auteur du harcèlement sexuel à son endroit.

« Tout au long du processus, lorsqu’il est devenu évident que la situation nuisait à ma santé mentale et à mon sentiment de sécurité, elle venait souvent me demander ce qu’elle pouvait faire pour m’aider », poursuit Francine. « Cette attitude ne faisait qu’exacerber la situation pour moi. J’avais eu le courage de faire un signalement et il m’appartenait maintenant d’expliquer à ma gestionnaire comment gérer la situation? »

Le manque de formation et de perfectionnement professionnel est un problème courant au sein des organismes caritatifs et sans but lucratif. Cette lacune sur le plan de la formation signifie que les gestionnaires et les dirigeants ne sont pas bien outillés pour gérer des problèmes de cette nature. Ils commettent des maladresses lors des réunions, disent les mauvaises choses et aggravent une situation déjà stressante.

« Je me rappelle avoir dit à ma gestionnaire que ça m’aiderait si un autre collègue ou gestionnaire pouvait m’accompagner aux réunions où mon harceleur serait présent afin d’avoir le sentiment de contrôler la salle et les personnes qui s’assoient près de moi. Je ne me sentais pas en sécurité au travail ni lors des réunions où je risquais de me retrouver seule avec lui, ou près de lui », mentionne Francine. « Ce qui a empiré les choses, c’est ce que ma gestionnaire a répondu, et je cite “c’est beaucoup demander à quelqu’un”. La seule et unique fois où je demandais quelque chose de précis, on m’a fait sentir que c’était un inconvénient. »

L’importance des témoins

On ne saurait trop insister sur le rôle que jouent les témoins dans la prévention du harcèlement sexuel. Francine mentionne qu’une formation en intervention des témoins aurait été utile dans son cas.

Elle relate un incident en particulier où elle se trouvait dans la cuisine du bureau avec son harceleur et trois autres employés – dont un homme – lorsque son harceleur a tenu des propos tout à fait inappropriés. « Il a fait une blague qui laissait entendre que je devrais me prostituer en ligne pour obtenir l’argent nécessaire pour acheter des billets pour un concert auquel je souhaitais assister. Pas un seul de mes collègues n’a réagi et n’a dit quoi que ce soit, ni à ce moment-là ni après. »

Selon Francine, on aurait pu pallier l’incapacité de ses collègues à agir au moyen d’une formation annuelle en intervention des témoins. La formation des témoins pour qu’ils puissent être en mesure de reconnaître le harcèlement, intervenir et faire preuve d’empathie envers les victimes sensibilise les gens, encourage les témoins à agir avant que les comportements inappropriés surviennent et aide les survivantes à signaler le harcèlement dont elles sont victimes et à demander de l’aide5.

Doter le personnel des outils et des ressources dont il a besoin pour reconnaître et prévenir le harcèlement sexuel est donc une mesure efficace. Vous créez une équipe d’alliés qui pourront intervenir pour défendre les personnes marginalisées – quel que soit le type de discrimination dont elles font l’objet – et faire passer la culture du travail de la passivité à l’intervention active.

Cette conversation restera d’actualité

En fin de compte, Francine a quitté l’organisation.

« Je n’arrivais tout simplement pas à me sentir en sécurité dans ce milieu de travail », avoue-t-elle. « J’avais perdu tout espoir et je n’avais plus d’énergie pour continuer à me battre, toute seule. Je ne croyais pas en la capacité des dirigeants à gérer ma situation. »

En ne répondant pas correctement aux préoccupations de Francine, les dirigeants de l’organisation ont créé un environnement de travail toxique pour les autres. D’anciens collègues disent parfois à Francine que sa plainte, et la façon dont elle a été traitée, a fait taire les autres.

« On me raconte que mon cas a fait en sorte que d’autres ont aujourd’hui peur de faire part de leurs préoccupations, de quelque nature qu’elles soient. Pourquoi se mettraient-ils en danger après avoir vu la manière dont ma situation a été gérée? »

Ce que les organismes doivent savoir

Il y a un grave problème au sein du secteur caritatif et sans but lucratif. Nous consacrons temps et ressources pour protéger nos organisations, mais nous négligeons de protéger nos gens.

En tant que PDG, directeur général ou directrice générale ou gestionnaire, qu’allez-vous faire pour vous assurer que la sécurité de votre personnel est LA priorité?

En tant que membre du conseil d’administration ou bénévole d’un organisme, qu’allez-vous faire pour faire en sorte que des politiques et des procédures soient mises en place pour protéger vos gens?

Cette conversation restera d’actualité, et les employés du secteur caritatif veulent des réponses.

Francine a un conseil important à donner aux employeurs au sujet de la différence entre empathie et compassion. « J’aimerais que les dirigeants fassent preuve d’une plus grande compassion. Il y a une énorme différence entre l’empathie et la compassion. Avoir de la compassion signifie que vous êtes prêt à faire face à la souffrance (la vôtre ou celle des autres), et que vous avez le courage d’agir avec bienveillance. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de dirigeants qui sont prêts à écouter ces conversations difficiles puis à agir. Ça changerait tout. »

À PROPOS DU NATIONAL DAY OF CONVERSATION

Vous voulez en savoir davantage?

Le 26 novembre 2020 se tiendra la deuxième « journée nationale de la conversation » – le  National Day of Conversation (NDOC) (en anglais). Créé en 2019, le NDOC vise à sensibiliser les gens au problème du harcèlement sexuel dans le secteur caritatif et sans but lucratif. Initiative communautaire à l’origine, il s’agit aujourd’hui d’un mouvement d’envergure. Le contenu sera hébergé par Fundraising Everywhere. Joignez-vous à la conversation sur  Twitter, Facebook and LinkedIn.

Les contributions de rédacteurs invités représentent exclusivement les opinions et points de vue des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions et points de vue d’Imagine Canada.

Liz LeClair se qualifie fièrement de professionnelle en collecte de fonds et de féministe. Elle met à profit plus de 15 ans d’expérience dans sa fonction de directrice des dons majeurs à la QE2 Foundation à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Liz, fondatrice de l’initiative National Day of Conversation, est résolue à parler des défis auxquels les femmes et les personnes marginalisées font face dans tous les secteurs d’activités. Née à Toronto, elle a vécu et travaillé sur la côte ouest et sur la côte est du pays, auprès de différents organismes sans but lucratif, dans divers secteurs.

 

1 https://afpglobal.org/one-quarter-all-female-fundraisers-report-sexual-…;

2https://www.canada.ca/en/employment-social-development/services/labour-…;

3https://afpglobal.org/one-quarter-all-female-fundraisers-report-sexual-…;

4 https://www.camh.ca/en/health-info/mental-illness-and-addiction-index/s…;

5 https://academic.oup.com/milmed/article/183/suppl_1/421/4959989 

 

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