La campagne de vaccination s’accélère, la phase d’urgence de cette pandémie tire à sa fin et il nous est permis d’espérer que la relance économique tant attendue approche à grands pas. Dans quelle mesure cherchons-nous le retour à la « normale »? Cette question se pose. Comme l’économiste J. M. Keynes l’a souligné, c’est notre désarroi face à la perspective « d’un avenir différent du présent » qui alimente notre forte résistance au changement, mais nous n’avons pas le choix.
En plus des effets dévastateurs et des décès qu’elle laisse dans son sillage, la COVID-19 a mis en évidence les nombreux clivages qui existent dans notre société. Cette pandémie a mis à nu les profondes inégalités couramment vécues par les femmes, les membres des communautés racialisées, les personnes handicapées et celles aux prises avec des problèmes de santé mentale et de dépendances.
Cette pandémie a également mis à l’avant-plan le secteur de la bienfaisance et sans but lucratif – un secteur dont l’incidence est importante, mais souvent invisible. Les organismes communautaires représentent 8,7 pour cent du produit intérieur brut du Canada et emploient plus de 2,5 millions de Canadiens. Ils mobilisent 14 millions de bénévoles qui leur font don de deux milliards d’heures de leur temps chaque année. Bien que la pandémie ait mis en évidence le travail crucial de notre secteur au service de nos collectivités, elle a également révélé à quel point il est méconnu des décideurs qui sous-estiment encore largement son potentiel.
Face à cette situation, à l’initiative d’Imagine Canada, plusieurs leaders du secteur ont commencé à se réunir régulièrement dans le but de défendre collectivement la cause d’une relance équitable. Ce collectif est inclusif, centre sa composition et son attention sur l’équité et dispose de la souplesse voulue pour accueillir de nouveaux partenaires et pour dialoguer avec le gouvernement et les intervenants clés de manière impartiale. Ce collectif saisit cette occasion unique de reconstruire en mieux.
Investir pour stabiliser le secteur
À quelques semaines seulement du budget fédéral, nous préconisons un soutien financier du secteur afin de lui permettre d’améliorer la qualité de vie et d’accroître la force économique liées à l’équité. Ottawa doit prolonger les mesures d’urgence initialement mises en place pour aider à surmonter la pandémie. Le maintien des subventions salariales et du loyer et des autres mesures d’aide d’urgence au financement de base des organismes de bienfaisance et sans but lucratif répondra directement à des besoins non comblés dans nos communautés, jusqu’à ce que les événements de collecte de fonds et les activités génératrices de revenus puissent redémarrer complètement. Le gouvernement peut également propulser l’équité économique en injectant un financement supplémentaire au secteur, en particulier aux petits organismes communautaires dont les services sont essentiels pour les groupes en quête d’équité.
À l’approche de la phase de relance et de reconstruction du pays, le secteur se trouve à la croisée des chemins. Les frontières entre des secteurs auparavant cloisonnés rendent les changements technologiques flous, bouleversent fondamentalement les modèles traditionnels de prestation des programmes et la mobilisation des ressources continue de subir les importantes répercussions des changements démographiques.
La capacité du secteur de définir une réaction efficace à ces facteurs de stress est limitée par un cadre réglementaire gouvernemental fragmenté et dépassé.
Du statut d’intervenant à celui de partenaire stratégique
Nous recherchons essentiellement une modification de la relation du secteur avec le gouvernement qui le ferait passer du statut d’intervenant ad hoc à celui de partenaire stratégique. Un récent rapport du Sénat, intitulé Catalyseur du changement, constitue un bon point de départ pour relever quelques défis immédiats. Nous donnons la priorité à deux questions clés, dont la première est la création d’une « entité au sein du gouvernement » pour le secteur. La récente réponse du gouvernement à ce rapport nous encourage, comme il semble favorable à cette idée. En revanche, nous devons nous assurer que cette entité y joue un rôle central et qu’elle soit habilitée à opérer la coordination indispensable de la totalité des politiques gouvernementales et la réforme de son financement dont le secteur a désespérément besoin.
La seconde question concerne la modernisation du cadre réglementaire pour l’adapter au 21e siècle. Le cadre actuel de « direction et de contrôle » donne aux communautés et aux organismes l’impression d’être soumis à une surveillance policière au lieu d’être aidés dans leur travail essentiel. Le rapport intitulé Under Layered Suspicion (en anglais), publié récemment, met en lumière les problèmes associés à ce modèle et ses effets négatifs, quand les organismes réglementés ne font pas confiance à l’organisme de réglementation. Le récent rapport du Comité consultatif sur le secteur de la bienfaisance adresse plusieurs recommandations à la ministre du Revenu, dont le transfert des décisions rendues par l’ARC à la Cour canadienne de l’impôt pour une nouvelle audience. L’annonce de l’adoption de ces recommandations dans le prochain budget enverra un signal clair aux leaders du secteur.
Le Canada est à la croisée des chemins. Nous pouvons emprunter la voie traditionnelle de la relance ou façonner une reconstruction économique véritablement équitable qui intègre les besoins humains à la croissance économique. Le prochain budget fédéral indiquera si Ottawa cherche une transition significative vers un changement économique inclusif qui offre des avantages tangibles pour tous.
Nos auteurs et autrices invité.es s’expriment à titre personnel. Leurs opinions ne reflètent pas nécessairement celles d’Imagine Canada.
Abdul Nakua possède une vaste expérience des secteurs de la technologie et sans but lucratif, avec sa carrière professionnelle de plus de 20 ans pendant laquelle il a exercé des fonctions de leadership technique au sein d’organisations technologiques, dont des entreprises en démarrage, ainsi que des fonctions de direction au sein du secteur sans but lucratif. Il est membre de l’équipe de direction de l’Association musulmane du Canada où il exerce des responsabilités étendues, dans le domaine opérationnel et en matière de mobilisation communautaire, d’image de marque, et de philanthropie et de relations avec les donataires. La Médaille du jubilé de diamant de la Reine Elizabeth lui a été remise en 2013 par le ministre des Affaires civiques et de l’Immigration de l’Ontario, en reconnaissance de ses contributions au leadership communautaire. Il a été membre du Conseil des champions de la santé mentale en milieu de travail de CivicAction. Il siège actuellement au conseil d’administration de l’Ontario Nonprofit Network. Abdul est membre du collectif du secteur sans but lucratif pour la relance.