La pénurie de bénévoles, des prévisions économiques sombres et l’augmentation des niveaux d’immigration sont des sujets que nous continuerons à surveiller.
Nouvelle année, nouveaux défis? L’année 2022 fut une année tumultueuse pour le secteur à but non lucratif. Alors que les conséquences de la pandémie continuent à se faire sentir, le secteur a aussi dû faire face à l’inflation galopante, à une augmentation de la demande pour ses programmes et services, et à la pénurie de main-d’œuvre, entre autres. L’année 2023 ne fait que commencer, mais on peut déjà entrevoir que certaines de ces tendances se poursuivront et que de nouveaux défis et possibilités émergeront.
Dans ce premier billet de l’année dans notre série trimestrielle, nous présentons quelques-unes des grandes tendances qui touchent actuellement les organismes de bienfaisance et les organismes à but non lucratif (OBNL).
Les prévisions économiques sombres auront un effet sur les finances des OBNL et la demande pour leurs services.
Après avoir consulté leur boule de cristal, les économistes ont présenté des prévisions bien sombres pour 2023, surtout pour la première moitié de l’année. Presque tout le monde s’entend sur le maintien de l’inflation et des prix élevés, ce qui vaut également pour les taux d’intérêt dont le niveau contribuera probablement à faire basculer l’économie dans une récession tôt cette année. Ce contexte fiscal continuera de rendre la vie dure aux organismes du secteur.
Les économistes s’attendent également à un recul des bénéfices d’entreprises, ce qui se répercutera sur la valeur de leurs titres inscrits en bourse. Cette réalité affectera les organisations détentrices d’actions, notamment les fondations et les organismes avec des fonds de dotation. Une étude américaine (en anglais) réalisée dans le passé indique que les subventions accordées par les fondations pouvaient connaître un recul en période de récession. Bien sûr, une telle évolution crée des difficultés pour les organismes et personnes qui dépendent de ces subventions. Toutefois, peu d’études sur les versements des fondations durant une récession existent pour le contexte canadien. Qui plus est, la confluence actuelle de plusieurs facteurs (marché du travail tendu, taux d’intérêt élevés, problèmes d’approvisionnement, etc.) pourrait amoindrir la pertinence des plus récentes périodes de récession comme points de comparaison pour la tempête que nous nous apprêtons à vivre en 2023.
Devant la hausse des taux d’intérêt, les OBNL ayant contracté des prêts pourraient voir le coût de cette dette augmenter. Selon la plus récente Enquête canadienne sur la situation des entreprises, 5 % des OBNL ont contracté un prêt au cours de la dernière année1. De manière générale, les OBNL sont plutôt réticents à s’endetter, et malgré les mesures d’aide sous forme de prêts offertes par le gouvernement fédéral au plus fort de la pandémie, seulement 13 % des OBNL déclarent être plus endettés aujourd’hui qu’au début de la pandémie. 14 % d’entre eux le sont moins2. Par ailleurs, seulement 13 % des OBNL se disent inquiets quant à la possibilité que l’augmentation des taux d’intérêt et du coût de la dette devienne un obstacle dans un avenir proche, contre une moyenne de 39 % pour tous les secteurs économiques3. Ainsi, bien que l’aversion des OBNL pour l’endettement puisse limiter les retombées de leur travail et leur potentiel d’innovation, elle les protège actuellement contre les effets financiers néfastes de la hausse des taux.
En outre, nous nous attendons à voir une tendance dominante de la dernière année se poursuivre avec l’inflation qui crée un triple effet sur le secteur, soit une augmentation des coûts, une hausse de la demande pour les services et une baisse des dons. Les organismes dans le domaine de la sécurité alimentaire se trouvent au cœur de cette tempête en raison de l’inflation des prix des aliments. Deuxième récolte, un organisme dédié à la récupération alimentaire vient de publier les résultats d’un sondage prédisant pour cette année une hausse de 60 % de la demande que connaîtront les banques alimentaires et d’autres organismes dans ce domaine.
En même temps, et sur une note plus positive, la vaste majorité des OBNL (93 %) disent avoir été ou être en mesure d’obtenir les liquidités nécessaires pour poursuivre leurs activités pendant les trois prochains mois4. Un autre ensemble d’indicateurs de la santé des organisations, soit les plans de fermeture et de fusion, est demeuré stable à un faible niveau au cours de la dernière année. Seulement 0,1 % des OBNL prévoient mettre fin à leurs activités et seulement 1 % prévoient fusionner avec d’autres organismes au cours de la prochaine année5. Au total, 86 % des OBNL entrevoient les 12 prochains mois avec optimisme6.
La décision du Canada d’accueillir plus d’immigrant.e.s aura des effets sur la main-d’œuvre et le bassin de donateurs.trices du secteur des ONBL, et fera augmenter la demande pour certains services.
À la fin de 2022, le gouvernement fédéral a annoncé vouloir relever les niveaux d’immigration avec l’objectif d’offrir la résidence permanente à 500 000 personnes en 2025. Cette augmentation par rapport aux chiffres prépandémie est significative : le Canada avait accueilli 341 180 nouveaux.elles résident.e.s en 2019.
Cette hausse appréciable des niveaux d’immigration coïncide avec une pénurie de main-d’œuvre quasi généralisée au pays et le vieillissement de la population. Les personnes immigrantes représentent un groupe important pour les OBNL, que ce soit en leur qualité de travailleurs.euses, de donateurs.trices ou de bénéficiaires de services. Par conséquent, ce changement aura des effets notables sur le secteur.
Actuellement, les personnes immigrantes représentent 47 % de la main-d’œuvre du secteur. De plus, 50 % des femmes immigrantes participant au marché d’emploi canadien travaillent dans les OBNL. Alors que 31 % des OBNL considèrent la pénurie de main-d’œuvre comme un obstacle à surmonter7, l’augmentation du nombre de personnes immigrantes susceptibles d’intégrer notre secteur pourrait donc faire partie de la solution. Cependant, il faut se rappeler que pour bon nombre d’immigrant.e.s, notre secteur n’est pas un employeur de choix. Ce sont plutôt la discrimination vécue dans d’autres secteurs économiques et l’absence d’options qui les amènent à se joindre à notre main-d’œuvre. Notre secteur doit être conscient de sa responsabilité d’offrir des emplois décents, respectueux et accueillants qui permettent aux personnes immigrantes de s’épanouir et de contribuer à nos communautés8.
Pour les organismes dans le domaine de l’établissement des immigrant.e.s, l’arrivée au pays d’un plus grand nombre de personnes au cours des prochaines années se traduira probablement par une augmentation à court terme de la demande pour les services d’intégration.
Dans un sondage réalisé en 2020 parmi des personnes nouvellement arrivées au Canada et celles de la deuxième génération, 74 % affirment avoir fait un don à une cause caritative dans les 12 mois précédents. À mesure que le Canada voit sa démographie évoluer et qu’il accueille plus de personnes provenant de diverses régions du monde, les responsables du collecte de fonds dans les OBNL doivent assurer la pertinence de leurs efforts et s’adresser davantage aux Canadien.ne.s des première et deuxième générations.
Le manque de bénévoles aggrave les problèmes de personnel des OBNL
La pénurie de main-d’œuvre a été sur toutes les lèvres l’an dernier. Toutefois, dans notre secteur, un nombre appréciable d’organismes dépendent majoritairement de bénévoles pour offrir des programmes et services. Une part étonnante de 58 % des organismes de bienfaisance (et beaucoup plus chez les OBNL) ne compte sur aucun personnel rémunéré (en anglais), et parmi ceux qui en ont, beaucoup comptent aussi sur des contributions bénévoles. Malheureusement, la pandémie a créé une brèche persistante dans le monde du bénévolat, aggravant du même coup les défis de main-d’œuvre dans le secteur.
L’an dernier, 65 % des OBNL ont déclaré vivre une pénurie de nouveaux.elles bénévoles, tandis que 50 % disaient avoir de la difficulté à garder leurs bénévoles9. Cette difficulté a des répercussions importantes sur le personnel rémunéré. 28 % des OBNL disent que leur personnel travaille plus d’heures pour accomplir des tâches normalement réalisées par des bénévoles. 21 % affirment que la pénurie de bénévoles cause l’épuisement de leur personnel10.
Le manque de bénévoles a aussi des répercussions concrètes dans les communautés. 33 % des OBNL déclarent qu’il les a amenés à réduire leur offre de programmes et de services. Chez 17 % des organismes, il s’est traduit par la fermeture de programmes et de services11. En fin de compte, cette pénurie signifie que certaines personnes qui ont besoin d’aide ne peuvent y avoir accès. Ce manque de service est d’autant plus alarmant dans un contexte d’augmentation de la demande.
Face à une multitude d’inconnus
La nouvelle année ne fait que commencer, mais si elle ne ressemble qu’un tant soit peu aux années antérieures, elle sera tout sauf ennuyeuse. Parmi les tendances observées l’an dernier, notamment l’inflation, la crise du système de santé, les taux d’intérêt élevés, la pénurie de main-d’œuvre et les conflits de travail, les catastrophes climatiques, ainsi que les problèmes d’approvisionnement, plusieurs se maintiendront, évolueront et continueront d’influer sur le secteur. En même temps, les imprévus ne manqueront pas de se manifester pour nous imposer des défis supplémentaires. De plus, avec un gouvernement minoritaire à la tête du pays, la possibilité d’élections plane en tout temps. Tout au long de l’année, nous continuerons à vous aider à donner un sens à l’évolution rapide de notre environnement pour vous préparer le mieux possible à faire face aux obstacles, à saisir les occasions et à poursuivre votre mission.
1 Statistique Canada, tableau 33-10-0621-01 : Situation de l’entreprise ou de l’organisme en ce qui concerne les demandes de crédit ou de prêt au cours des 12 derniers mois, quatrième trimestre de 2022.
2 Statistique Canada, tableau 33-10-0627-01 : Niveau d’endettement actuel de l’entreprise ou de l’organisme par rapport au début de la pandémie de COVID-19, quatrième trimestre de 2022.
3 Statistique Canada, tableau 33-10-0603-01 : Obstacles à surmonter par les entreprises ou organismes au cours des trois prochains mois, quatrième trimestre de 2022.
4 Statistique Canada, tableau 33-10-0624-01 : Liquidités et accès aux liquidités au cours des trois prochains mois, quatrième trimestre de 2022.
6 Statistique Canada, tableau 33-10-0630-01 : Perspectives d’avenir au cours des 12 prochains mois, quatrième trimestre de 2022.
7 Statistique Canada, tableau 33-10-0603-01 : Obstacles à surmonter par les entreprises ou organismes au cours des trois prochains mois, quatrième trimestre de 2022.
8 Pour plus d’information, consultez Notre diversité, notre force : pour de meilleures conditions de travail dans le secteur à but non lucratif.
9 Statistique Canada, tableau 33-10-0617-01 : Bénévoles et défis que les entreprises doivent relever pour recruter et maintenir en poste des bénévoles, quatrième trimestre de 2022.
10 Statistique Canada, tableau 33-10-0618-01 : Répercussions ou répercussions prévues des difficultés de recrutement et de maintien en poste des bénévoles sur l’entreprise ou l’organisme, quatrième trimestre de 2022.
11 Statistique Canada, tableau 33-10-0618-01 : Répercussions ou répercussions prévues des difficultés de recrutement et de maintien en poste des bénévoles sur l’entreprise ou l’organisme, quatrième trimestre de 2022.